Paradoxe européen

ParadoxeEuropéenComment interpréter les résultats des dernières élections européennes ? Ayant traité des phénomènes transfrontaliers pour l’union européenne, Jean-Pierre Massias, universitaire, professeur de droit public, vivant en Iparralde, répond à cette interrogation.

Il y a beaucoup d’interprétations et de commentaires possibles notamment face à la victoire en France du Front national, mais peut-être, le premier constat qui vient à l’esprit c’est celui du formidable décalage qui existe entre les véritables enjeux de ces élections et leur réalité sociale. Il s’agissait d’abord —et surtout— de désigner les députés qui vont siéger au parlement européen au sein des groupes politiques spécifiques à cette institution. Cette élection avait un enjeu d’autant plus important qu’au-delà du rapport de force notamment entre le PPE et le groupe “Socialistes et démocrates” c’est l’élection du président de la commission européenne qui était impactée. Or cette perspective n’a été prise en compte ni par les électeurs ni même par la majorité des commentateurs de ces résultats.

Le site de la fondation Schuman, concernant les résultats des dernières élections européennes donne une lecture atypique et passionnante de ces résultats. Selon cette institution, “Les
forces de droite sont arrivées en tête des élections européennes qui se sont déroulées dans les 28 Etats membres de l’Union européenne entre le 22 et le 25 mai. Le Parti populaire (PPE)
a recueilli 28,36% des suffrages et remporté 213 sièges, en recul cependant par rapport au précédent scrutin du 4-7 juin 2009 (-61 sièges). La baisse des chrétiens-démocrates ne profite
pas aux Socialistes & démocrates (S&D) qui ont obtenu 25,17% des voix et 189 élus (-7). L’Alliance des libéraux et des démocrates pour l’Europe (ALDE) a pris la 3eme place du scrutin
européen avec 8,52% des suffrages et a remporté 64 élus (-19). Les Verts/Alliance libre européenne ont obtenu 6,92% des voix et 52 élus (-5). Les Conservateurs et réformistes européens
(CRE/ECR) obtiennent 6,13% des voix et 46 élus (-11) ; ils ont devancé la Gauche unitaire européenne/Gauche verte nordique (GUE/NGL), qui a obtenu 5,59% des suffrages et 42 sièges (+7). Europe libertés démocratie (ELD/EFD) a recueilli 5,06% des voix et 38 élus (+7). Enfin, les non-inscrits ont remporté 5,46% des voix et 41 élus (+ 8). Restent 66 nouveaux élus qui n’appartiennent à aucun groupe politique et qui, ensemble, ont obtenu 8,79% des  suffrages”.

Au-delà de son sérieux, que dire de cette analyse sinon qu’elle apparaît à la fois inhabituelle parmi les observateurs qui ont tenté de donner sens aux résultats du scrutin du 25 mai, mais aussi incompréhensible et illisible pour la plupart des citoyen électeurs qui y ont participé. C’est bien le paradoxe de ces élections et de leurs résultats. Ils s’inscrivent dans une contradiction fondamentale entre la réalité de ce scrutin et sa perception sociale. C’est vrai à Bruxelles, à Paris et même en Iparralde. Pour faire simple, ceux qui ont participé à ces élections avaient des objectifs majoritairement déconnectés de la réalité du scrutin et ceux qui ont analysé les résultats n’ont fait que prolonger cette contradiction en donnant à ces  élections une signification sans rapport avec la réalité institutionnelle qu’elles étaient sensées porter.

Grand décalage

Il y a beaucoup d’explications, mais peut être la plus significative reste le rapport très ambiguë dans lequel les Etats, pourtant officiellement partisans de l’intégration européenne, restent face à ces élections. L’Europe existe depuis 1957, le parlement est élu au suffrage universel depuis 1979 et les règles électorales restent désespérément nationales. Si l’on veut donner du sens à cette élection, il faut voter à l’échelle européenne et sur des listes européennes et non nationales. La démocratie à besoin de lisibilité et de simplicité.

Ce phénomène est encore accentué par le contexte français puisque depuis 2003 le vote ne porte plus sur des listes nationales mais constituéesà l’échelle de circonscriptions totalement
artificielles. Ce qui contribue à brouiller le message. Enfin, la succession des scrutins a également nuit à la participation électorale pour ces élections européennes. Les élections municipales sont intervenues quelques semaines avant et ont considérablement mobilisé les partis politiques et les électeurs. Pourquoi ne pas avoir tenté de “ coupler” ces deux scrutins comme ça a été le cas dans d’autres Etats membres ? Cela aurait certainement renforcé la participation des citoyens français au vote. Cette ambiguïté —qui n’est évidemment pas la seule raison des résultats du vote de dimanche dernier— est toutefois caractéristique d’une contradiction encore plus fondamentale entre la logique propre des institutions européennes qui
pousse (comme c’est le cas pour la gouvernance économique) vers toujours plus d’intégration  et la résistance des Etats qui continuent de peser sur les processus décisionnels.
Comment s’étonner du succès des discours souverainistes en Europe quand les gouvernements entretiennent eux-mêmes cette dualité entre l’Union et les Etats ?

En France, la victoire du Front national est un phénomène préocucupant

C’est bien le principal enseignement de ces élections et le plus alarmant aussi. Il y a beaucoup de raisons qui peuvent expliquer la victoire du front national —qu’il ne faut pas mésestimer au nom de la faible participation électorale. Des raisons politiques d’abord. Tant la porosité idéologique que certaines formations politiques “républicaines” pratiquent avec le discours du front national (en matière de lutte contre l’immigration ou de défense des valeurs “traditionnelles”par exemple) que le non respect des engagements électoraux de la part du gouvernement et du président de la république (comment ne pas être frappé —et peiné—par le fait que le FN remporte la victoire dans tous les grands bastions ouvriers socialistes
et communistes ?) ont été de très puissants catalyseurs du vote FN.
Mais l’Union européenne n’est pas exempte non plus de tout reproche et a également participé à cette montée en puissance. La rigueur économique imposée aux sociétés déjà touchées durement par la crise ou le non-respect des décisions souveraines adoptées par referendum pour finalement imposer un traité qui avait pourtant été clairement rejeté par les citoyens ont également beaucoup contribué à cette expression radicale.

Le résultat des élections européennes est aussi un signal d’alarme pour la démocratie française et ses institutions. Le résultat est sans appel. Le Front national remporte l’élection dans 70 départements, il est aujourd’hui placé en tête des suffrages exprimés confirmant ainsi une progression continue. Et pourtant il n’est pratiquement pas représenté dans les institutions nationales et ne possède que deux députés.

Quel que soit le rejet que l’on peut avoir de cette formation, cette situation n’est pas acceptable et renvoie la République à ses contradictions. La proportionnelle s’impose désormais pour permettre au parlement de véritablement représenter les électeurs. Il est possible de concilier la nécessité d’une gouvernance trationnelle avec un parlement pluraliste (le mythe du retour à la IVeme république est un leurre). La France est d’autant plus concernée que l’élection du président de la république (pour cinq ans désormais) est un puissant facteur d’unification et de concentration des pouvoirs. Un parlement plural doit être un contre-poids nécessaire. Ce n’est pas en brisant le thermomètre que l’on soigne la fièvre. L’idée que les règles électorales ne sont pas “justes” participe fortement à la mobilisation du FN et à son discours “anti-élites”.

Comment lire les résultats en Iparralde?

En Iparralde, le vote de dimanche est à la fois comparable et spécifique. Spécifique d’abord quant à ses résultats. Dans les trois provinces historiques ; le Front national (en dépit de
progrès considérables) reste très largement en deçà de sa moyenne nationale et est devancé tant par l’UMP que très souvent par les listes centristes ou écologistes. Ces deux formations (notamment en Basse Navarre et en Soule) obtiennent grâce à leur encrage local des résultats assez significativement supérieurs à la moyenne nationale. Enfin, le PNV obtient lui aussi des scores intéressants.

Toutefois, il me semble que les mêmes problèmes de “démocratie” déjà évoqués affectent aussi le vote en Iparralde. Le vote abertzale –pourtant conforté par les élections municipales— n’a aucune véritable possibilité de s’y exprimer. Tant le choix des circonscriptions, que le refus d’une échelle électorale véritablement européenne conduisent le vote abertzale soit à une expression purement symbolique (dont l’impact disparaît au lendemain du scrutin) soit à se diluer dans d’autres listes au prix d’alliances électorales parfois complexes.

C’est ce qui, à mon sens explique —et globalement justifie— le choix d’Euskal Herria Bai de ne pas participer, en Iparralde, à ces élections. Dès lors que la reconduction de l’Alliance avec Europe écologie –les Verts avait été jugé inopportune par les membres d’EH Bai, leur implication électorale devenait —du fait des règles du jeu applicables— relativement inutile.
Dès lors, le soutien apporté, dans une démarche “transfrontalière” à la liste Herriek Erabaki, qui comportait en son sein en Hegoalde une représentante d’Iparralde prend tout son sens et laisse figurer ce que pourrait être une liste à l’échelle de l’ensemble des Etats membres qui à l’instar des autres formations (PPE et Socialistes) pourrait réunir des candidats catalans, basques écossais ou irlandais.
Au fond, tant à Bruxelles, qu’à Paris ou en Iparralde le constat est le même, si l’on veut désormais sauver les prochaines élections des députés européens d’un nouveau fiasco, il faut en faire des élections —véritablement— européennes.

 

 

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