«Le véritable voyage ne consiste pas à chercher de nouveaux paysages mais d’avoir de nouveaux yeux». C’est en cherchant un titre pour ces quelques lignes que je suis tombé sur cette citation de Marcel Proust. Elle résume en quelques mots et on ne peut mieux le sens des sentiments que je souhaite exprimer ici.
On voyage pour diverses raisons : à la recherche du soleil, du dépaysement, pour échanger, pour découvrir, pour comprendre, pour s’isoler, … il y a sans doute autant de raisons, de prétextes aux voyages, que de voyageurs…
Vous l’avez compris, je rentre d’un voyage.
J’ai visité un pays connu pour la beauté de ses paysages, sa richesse culturelle, mais aussi et surtout pour son régime politique, le pays en question étant dirigé par une junte issu d’un pouvoir militaire en place depuis 1962. Un pays classé par les organisations internationales des droits de l’homme comme l’un des pires pays du monde en matière de libertés publiques. La Birmanie.
Le pays de Aung San Suu Kyi, la prix Nobel de la paix de 1991, la fille du héros national Aung San, la principale figure de l’opposition dans le pays. Malgré un certain assouplissement du régime depuis 2011, certaines zones du pays sont toujours interdites d’accès. Des conflits armés avec les minorités ethniques du nord du pays perdurent.
Les différents guides mettent en garde sur les problèmes pouvant être rencontrés par les éventuels touristes dans le pays.
Tout y passe. Les difficultés de communication, l’obligation d’utiliser certaines devises, pas de réseau internet, l’interdiction de parler politique avec la population, l’omniprésence de l’armée ou de la police…
Nous allions nous plonger au cœur d’une dictature militaire… et quelque part c’est aussi pour cela que nous y allions. Nous voulions être confrontés à cette réalité, soutenir cette population, constater les difficultés quotidiennes auxquelles elle pouvait être confrontée…
Notre premier contact local, le chauffeur de taxi qui nous amenait de l’aéroport à l’hôtel, nous proposa d’emblée de passer devant la maison de Aung San Suu Kyi. A notre grande surprise nous bravions, d’entrée, l’interdiction d’évoquer publiquement la situation politique du pays. Quelques jours plus tard, au fur et à mesure de notre progression dans le pays, nous avons dû nous rendre à l’évidence : nous étions très loin de l’image que nous nous étions faite du pays.
Nous avons vu des gens avenants, ouverts, curieux, qui ne semblaient pas craindre grand-chose… Nous avons vu des enfants heureux qui jouaient avec trois fois rien… Nous avons vu des sourires… Au travers des discussions, nos interlocuteurs semblaient plus désigner les embargos, européens ou américains, que leur gouvernement, comme responsables de leurs malheurs, tout en manifestant ouvertement et sans peur leurs soutiens à la Ligue Nationale pour la Démocratie, le principal parti politique d’opposition. Des photos de Aung San Suu Kyi et de son père partout. Dans nombre de villages des banderoles à son effigie sont accrochées sur les devantures des maisons dans l’attente des prochaines élections en 2015… En 2015 sans doute, il faut y croire…
Au fil des échanges il est facile de comprendre que la population à soif de changement. La réalité n’a pas toujours dû être celle que nous constatons. On comprend également qu’ils idéalisent ce que nous représentons. Ils aspirent à nos systèmes d’organisation… Comment leur faire comprendre que dans nos pays aussi la pauvreté existe, qu’on peut mourir dans la rue, que des personnes sont emprisonnées pour leurs opinions, que des conflits existent, que des minorités sont bafouées et des populations rejetées… Ils ne le croiraient sans doute pas. Ça a été perturbant. Ça l’est encore. C’est un beau pays que nous avons visité. Nous avons vu de nouveaux et beaux paysages et sommes rentrés avec de nouveaux yeux…