On avait beau dire, façon décalée, “Je ne suis pas superstitieux parce que ça porte malheur”, Paris a passé la soirée du vendredi 13 novembre dans l’effroi et l’horreur.
Ces attaques aux fusils de guerre contre la population, souvent jeune et démunie face au fanatisme meurtrier, ont plongé la France et le monde dans la consternation.
En cette fin novembre, le bilan comptable est là : 130 morts(1) et 350 blessé(e)s. Parmi ces dernier(e)s, 161 toujours hospitalisé(e)s dont 26 en réanimation. Ces centaines de personnes, ainsi que leurs familles et leurs ami(e)s, sont marquées à vie.
Comme début janvier, l’empathie nous gagne. Parce que l’on se sent concerné. Parce que c’est Paris, si loin et si proche. Parce que les images nous bouleversent. Parce que l’émotion nous étrangle. Parce que la rage nous envahit. Pour avoir passé quelques jours à Paris au moment de ces carnages, j’ai ressenti un mélange d’impuissance, de profonde tristesse, de colère, de questionnement et aussi de craintes. Surtout dans les endroits confinés comme le métro où tout le monde se regarde en chien de faïence.
Pourtant l’émotion, si elle est inhérente à toute vie humaine, ne doit pas seule régir nos pensées ou notre action. A l’instar de ces innombrables lois répressives fomentées sous Sarkozy au lendemain de faits divers notables. L’argumentation sous couvert d’une vrai introspection culturelle, historique ou religieuse doit guider notre réflexion.(2)
Alua (akbar) !
S’il y a bien deux mots à ne pas crier en ce moment dans un métro ou à une terrasse d’un café parisien, c’est bien “Allahu akbar”. A fortiori si vous avez le teint mat et un gros blouson. Effet garanti. Quoique si l’on se penche sur les faits divers de ces derniers jours, il n’est nul besoin de crier quoique que soit pour être admonesté voire tabassé. Ici, c’est une femme voilée qui se fait agresser, là un arabe d’origine violenté par une horde de nationalistes bretons d’extrême droite… Jusqu’à peu, je pensais, comme Waleed Al-Husseini(3), que le ressort principal des “soldats fascistes religieux” dixit Noël Mamère au débat sur la prolongation de trois mois de l’état d’urgence, était justement la religion.
Ce n’est pas l’avis du Dalai Lama qui précise que “La religion ne transforme pas les hommes en criminels : ce sont les criminels qui utilisent la religion comme alibi de leur pouvoir”. Certain(e)s d’entre eux ne connaissent pas ou peu le Coran. Dounia Bouzar(4), anthropologue, indique que sur les 700 jeunes, signalés par leurs parents en France et arrêtés aux frontières, 60% sont issus de familles catholiques, juives ou athées. C’est vrai qu’en regardant de près le proche passé connu de la plupart des meurtriers du 13 novembre à Paris, on peut effectivement se dire qu’après des parcours de délinquance, nombre d’entre eux se refont une virginité en se drapant d’une idéologie, même foireuse, comme une espèce de rédemption à trouver. Ce parcours initiatique se révèle souvent durant leur parcours carcéral.
La religion ne serait qu’un support à leur errance, leur frustration, à leur déficit culturel et éducatif ou leur vide idéologique. Une façon comme une autre de faire table rase du passé et de se venger d’une société qui ne leur aurait pas fourni les moyens de trouver leur place.
Necessitas legem non habet
L’état d’urgence, via une majorité écrasante du parlement français, est prorogé pour trois mois jusqu’à fin février. Il est donc possible que d’ici là raisonnent dans nos têtes certaines impertinences de Coluche qui se moquait des institutions françaises, et notamment répressives : “N’ayez pas peur madame, nous ne sommes pas de la police !”.
Quand un pouvoir politique permet à la police d’intervenir jour et nuit sans contrôle judiciaire, ce peut être la porte ouverte à moult dérapages. C’est ce qui nous attend dans les semaines à venir. Les plans Vigipirate ou l’état d’urgence n’ont finalement pas vocation à empêcher d’autres exactions terroristes mais à rassurer l’opinion publique française.
François Hollande surfe sur la sécurité en se muant en chef de guerre et en reprenant nombre de propositions de la droite et de l’extrême droite. Des gels de réduction des effectifs dans l’armée jusqu’au rétablissement du contrôle aux frontières en passant par la création d’une garde nationale réserviste.
A défaut d’impulser une politique de gauche, le président de la république tire à hue et à dia sur “l’union nationale, la marseillaise, le drapeau français et tous les ressorts habituels du “tous avec moi” contre l’ennemi commun. Un quiz sur internet nous invite à distinguer les phrases prononcées par Bush junior et celles d’Hollande. Le bien contre le mal fait toujours recette.
Pourtant nous savons que le manichéisme politique et médiatique est une injure à l’intelligence humaine. C’est aussi se dédouaner du passé colonial et impérialiste des Etats-unis et de certains États européens dont la France qui perdure toujours aujourd’hui.
A titre d’exemple, il suffit de se pencher sur les accords secrets appelés Sykes-Picot signés en mai 1916 entre la France et le Royaume-Uni qui se sont partagé tout le territoire du Proche-Orient dans le but de contrer les revendications ottomanes. Les Etats-Unis aussi ont foutu un sacré bordel en Irak et en Afganistan avec le gros mensonge à la clef des armes de destruction massive. Qui plus est, ils ont réactivé la guerre fraticide entre les Chiites et les Sunnites. Jean-Claude Allard, spécialiste des politiques de défense, corrobore sur le site de SO : “Car je vous rappelle que l’État islamique, ce n’est ni plus ni moins qu’un grand nombre de soldats irakiens de Saddam Hussein qui, licenciés par les américains en 2003, se sont retrouvés au chômage”.
France : 2ème producteur d’armes au monde par habitant
Jean-Sébastien Mora (5) propose des outils pour penser après les attentats de Paris. “Si la France veut vraiment vaincre Daech, il faut qu’elle arrête de vendre des armes aux États qui sont à la fois la source idéologique et même sécuritaire de Daech” soulignait la journaliste Claire Talon dans un débat organisé par Médiapart. (…) “Cessons de nous sanctifier. Continuons à dénoncer leur monstruosité ici et là-bas, mais ne soyons pas aveugles sur les nôtres. Car nous utilisons aussi à notre mode occidental, tueries et terreurs” explique le sociologue Edgar Morin.
On sait en effet que les principales victimes des drones et des bombardements (en Syrie) sont les populations civiles. Au va-t’enguerre Hollande, Robert Badinter, sur Liberation.fr le 07/01/2015, semble lui répondre: “Ce n’est pas par des lois et des juridictions d’exception qu’on défend la liberté contre ses ennemis. Ce serait là un piège que l’histoire a déjà tendu aux démocraties. Celles qui y ont cédé n’ont rien gagné en efficacité répressive, mais beaucoup perdu en termes de liberté et parfois d’honneur”.
(1) Parmi eux 79 hommes et 51 femmes de 17 nationalités différentes et d’une moyenne d’âge de 34 ans.
(2) “L’équilibre entre sécurité et libertés est nécessairement mouvant et il est sans cesse “actuel” : il peut être réévalué démocratiquement à condition toutefois de sortir rapidement de l’émotion et des arguments d’autorité et de renouveler ceux de la raison.” De François Saint-Bonnet dans (la vie des) idées.fr
(3) Cyberactiviste critique et réfugié en France, il fut arrêté, torturé et emprisonné 10 mois par l’autorité palestinienne en 2010 en raison d’articles qu’il a postés, critiques envers l’islam. Il vient d’indiquer récemment : “Ne priez pas pour Paris, combattez l’idéologie haineuse des religions”.
(4) Emission Salut les terriens sur Canal + du 21/11.
(5) Excellent article d’opinion riche en références littéraires sur Enbata.info du 22/11/2015 : Pourquoi la guerre aujourd’hui ?