En mélenchonien dans le texte
Une langue est toujours porteuse de concepts uniques et d’une mythologie propre. Ainsi en est-il du mélenchonien, langue franco-européenne parlée par un nombre assez restreint d’individus, mais qui, semble t-il, n’est pas en voie d’extinction. L’univers mélenchonien est peuplé d’odieux ethnicistes qui, par leurs vociférations et invectives, contribuent à la balkanisation de l’Europe, de meutes d’aboyeurs menaçant l’unité et l’indivisibilité de la République française ainsi que le progrès constitué par l’ordonnance de Villers-Cotterêts de 1539[1]. Dans cet univers binaire, l’éradication linguistique au profit du français a été un progrès mais le risque de domination de l’anglais est un impérialisme insupportable ; favoriser l’enseignement du breton signifie forcément refuser celui de l’arabe et la mise en place de 3 h de Corse par semaine en lycée est considéré comme des moyens importants en faveur d’une langue… C’est en tout cas ce qui ressort à l’occasion du débat autour de la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires.
Dans cet univers binaire, l’éradication linguistique au profit du français a été un progrès
mais le risque de domination de l’anglais est un impérialisme insupportable
Tout cela fait terriblement 20° siècle, si ce n’est pas 19°… Au 21° siècle, dans un monde mondialisé, nos identités sont de plus en plus complexes et la majorité des terriens parle au moins deux langues.
Souvent avancé comme argument, le risque du communautarisme, dans ce que cela entend de refus de l’altérité pouvant mener à la violence, ce risque existe. Mais ce communautarisme ne vient pas de l’expression de sa culture propre, il vient de la négation de celle de l’autre. Etre communautariste, c’est non pas vivre avec des gens qui nous ressemblent, mais voir sa culture comme supérieure à celle de l’autre. Or, le fait de ne pas être reconnu dans son identité entraine le repli sur soi et l’entre-soi.
Quel processus conduit Selim, 12 ans, né à Sartrouville de parents nés à Montreuil, à se présenter dès les premiers mots comme Algérien (alors qu’il n’a jamais mis les pieds en Algérie) ? Est-ce que ce n’est pas, entre autre, parce qu’on lui a renvoyé le fait qu’on ne peut pas être à la fois Algérien et Français, et que, puisqu’on ne le laisse être qu’un français de seconde zone, il se préfère Algérien et va se construire Algérien jusqu’à la caricature ? A l’inverse, savoir sereinement d’où l’on vient et qui l’on est permet de se remettre en question et de s’ouvrir à l’autre.
Le maire de Loos-en-Gohelle, commune déshéritée du Nord de la France, explique comment des habitants qui vivaient dans la peur de l’autre et de l’avenir et dans la honte de leur histoire s’étaient transformés lorsque leur terril, héritage de leur passé de mineurs, avait été reconnu patrimoine de l’humanité. Leur fierté retrouvée, ils ont pu se lancer dans une dynamique collective à l’échelle du territoire.
Hors, une langue, c’est un patrimoine fondamental dans lequel s’enracine une identité, outil de la pensée, expression de l’intime, pont vers l’autre.
Les recherches en neuro-linguistiques montrent que l’apprentissage d’une langue ne se fait pas au détriment des autres, mais qu’au contraire cela approfondit la compréhension que l’on peut avoir des langues connues et facilite l’apprentissage de nouvelles. Le multilinguisme précoce favorise l’accès à l’abstraction. Un enfant mesurera d’autant mieux la distance du mot à l’objet s’il a toujours su que ce qu’il avait devant lui était autant une pomme que sagarra, an apple ou una manzana. Il comprendra intuitivement que les mots ne sont que le reflet de la réalité et ne peuvent l’englober totalement.
L’avenir n’est pas au mono-linguisme, même si c’est difficile à admettre pour les habitants de pays ayant conjugué le colonialisme culturel au colonialisme économique, héritiers d’une vision du monde où la langue est un instrument de domination. Il paraît que nous n’utilisons que 10% de notre cerveau en moyenne. Je suis sûre que ceux qui parlent plusieurs langues activent des neurones qui restent en jachère chez d’autres. Alors n’ayons pas peur des langues, n’ayons pas peur de les apprendre et de les enseigner aux enfants. L’apprentissage de l’euskara ne se fait pas au dépend du français, et le batua n’est pas ce qui menace les belles langues de nos vallées.