La dette que le Pays Basque d’aujourd’hui doit à Jakes Abeberry est sans doute colossale mais beaucoup omettent curieusement d’en souligner le fond de sauce, le liant, ce qui est par essence la cohérence de notre territoire, son identité et sa vigueur. Dans l’âpreté du discours politique, dans l’art de faire joute, de faire stratégie ou de ferrailler, la culture demeure trop souvent ce qui semble oublié. Pourtant, Jakes a largement contribué à l’émergence de la création basque, accompagnant la mise en place d’outils sur tout le territoire ou érigeant à Biarritz son petit Guggenheim pour transformer l’identité de la ville, en faire un lieu triomphant de culture et de festival, avec son phare rayonnant bien au-delà.
Si aujourd’hui cette vocation culturelle semble couler de source dans la cité impériale, il n’en était rien à la fin des années 80 lorsque Biarritz négociait sa mutation en coulant du béton. Sous l’impulsion du maire Bernard Marie, le Casino municipal de Biarritz allait devenir un lot d’appartements de standing et la vieille gare du centre-ville, une salle de basket censée peut-être concurrencer Orthez. Élu d’opposition, Jakes a plaidé pour sa ville auprès de ce maire si peu intuitif, obtenant finalement que le terrain de basket ne soit pas au centre du public mais repoussé sur un côté. Bien sûr, il n’y eu jamais un seul panier. Lors de l’inauguration de ce « palais des festivals » de plus de 1300 places, Jakes était déjà adjoint à la culture aux côtés du maire Didier Borotra mais l’ampleur de la scène de la Gare du Midi, aux dimensions exactes d’un terrain de basket, n’en fini pas d’étonner danseurs et musiciens qui n’en trouvent d’équivalent qu’à l’opéra de Paris.
Dans un élan de compassion, Jakes avait également défendu le même dispositif auprès du maire de Bayonne, Henri Grenet, qui souhaitait ériger à Lauga un Palais des sports, mais celui-ci balaya le plaidoyer en estimant qu’un tel équipement était superflu pour accueillir « une poignée de chanteurs espagnols ». On peut, bien sûr, en sourire tristement, près de quarante ans après, à l’heure où la mairie de Bayonne doit déployer des trésors d’ingéniosité pour faire passer cet équipement sportif pour une salle de spectacle.
Jakes était un danseur, un scénographe, un architecte. Au-delà des nombreux équipements culturels construits à Biarritz, depuis la crypte Sainte-Eugénie ou le théâtre du Casino municipal en passant par le Colisée et l’Atabal, c’est aussi la politique culturelle menée qui fait la pertinence d’une vision singulière.
On peut bien sûr citer l’installation du Centre chorégraphique national Malandain Ballets Biarritz qui est aujourd’hui l’un des moteurs de la danse basque.
Privée d’un service culturel, la mairie de Biarritz a, dès les années 90, créé l’association para-municipale Biarritz Culture. Là où ses détracteurs voyaient en Jakes un abertzale forcené qui allait imposer le mutxiko obligatoire sur la plage, ce sont au contraire les arts qui ont nourri la création basque, en confrontant les musiciens émergents avec d’autres cultures, lors du festival Bi Harriz Lau Xori qui, avec l’aide de l’Institut culturel basque, attirait un public de tout Iparralde, lors du festival Le temps d’aimer la danse, qui a accompagné les chorégraphes basques dans leur métamorphose entre danse traditionnelle et contemporaine, ou plus simplement en ouvrant la voie, au Pays Basque, aux spectacles jeune public, bien avant que la Communauté d’agglomération Pays Basque en fasse le fer de lance de sa programmation, sensibilisant plusieurs générations à des spectacles vivants de qualité. À l’heure où, justement, la CAPB déploie sa politique culturelle, rendant aux communes la responsabilité de la programmation, l’action de l’association Biarritz culture reste une initiative exemplaire de politique publique.