Avec l’Obligation de quitter le territoire imposée à un jeune migrant bien intégré au Pays Basque, puis sa régularisation, se pose la question de la politique migratoire française et de sa pertinence, notamment dans un contexte économique favorable.
Malgré mon indignation, je ne parlerai pas ici des dizaines de migrants morts le 24 juin dernier au pied de la ville de Melilla, ni du dernier drame de la Bidassoa où le jeune guinéen Abderraman Bas a perdu la vie (Lire aussi dans Enbata Irun, Nador, la guerre des frontières ? de Marie Cosnay).
Je souhaiterais plutôt revenir sur le récent cas de régularisation du jeune Adama, Bayonnais depuis 2018. D’une part, parce qu’aussi petite soit-elle, cette victoire fait du bien. Ensuite, parce que la gestion de cas comme ceux d’Adama posent une vraie contradiction à la politique d’Emmanuel Macron : comment continuer à expulser de façon systématique ces migrants, alors que le modèle économique de rentabilité qu’il souhaite en a terriblement besoin ?
Adama a quitté la Côte d’Ivoire pour fuir des violences à l’âge de 15 ans. En avril 2018, il arrive à Bayonne ou il est depuis soutenu par l’association Etorkinekin. Sa minorité à son arrivée n’a pas été reconnue et, bien que pendant quatre ans il n’ait pas eu de titre de séjour, il a pu suivre une scolarité, obtenir deux CAP, trouver du travail et s’intégrer au Pays Basque. Vendredi 3 juin, Adama est interpellé en sortant du CCAS de Bayonne et envoyé au Centre de rétention administrative à Hendaye. Dans la foulée, la préfecture lui notifie une Obligation de quitter le territoire français (OQTF) assortie d’une Interdiction de retour (IRTF) d’un an et d’une assignation à résidence chez son hébergeur avec pointage obligatoire au commissariat deux fois par semaine. Le recours déposé et la présence en nombre de soutiens lors de l’audience n’y font rien : le 15 juin, le tribunal administratif confirme le renvoi en Côte d’Ivoire. Dès lors, Adama peut à tout moment être expulsé.
Régularisation
Une grande mobilisation de solidarité portée par Etorkinekin se met alors rapidement en oeuvre. Une pétition est lancée pour demander la régularisation d’Adama, et rassemble plus de 26.000 signataires en à peine 10 jours, des conférences de presse et rassemblements sont organisés, des élus envoient des courriers… Et le 21 juin, au lendemain de la journée internationale des réfugiés, Adama reçoit un appel des services de la préfecture lui annonçant sa régularisation. Tout un symbole qui apporte un peu de joie et doit nous conforter dans notre capacité à faire preuve de solidarité. Le durcissement des services du ministère de l’Intérieur ne devrait pas aller en s’arrangeant au vu du nouvel (dès)équilibre politique à l’Assemblée nationale, la majorité ira très certainement chercher des appuis encore plus à droite. Mais c’est surtout la pression des scores de l’extrême droite avec 41% pour Le Pen au second tour des présidentielles et la percée de candidats RN aux législatives qui dissuaderont l’idée même d’un assouplissement de la politique migratoire.
Economie
Dans la réalité pourtant des pans entiers de l’économie fonctionnent grâce à leur force de travail comme dans le secteur de l’hôtellerie-restauration qui peine à recruter notamment depuis le Covid. Pôle Emploi estime aujourd’hui à plus de 360.000 postes à pourvoir dans le secteur connu pour ses conditions de travail difficiles et des salaires qui restent bas. Pour combler le manque cruel d’effectifs, de plus en plus de patrons embauchent donc des sans papiers le plus souvent volontaires et bien moins exigeants sur les conditions de travail et salariales. Mais face au refus systématique des services préfectoraux à accorder un titre de séjour et de la multiplication des OQTF, des chefs d’entreprises revendiquent la nécessité de faciliter les mesures de régularisation des travailleurs sans papiers. Il y a une réelle hypocrisie de ceux qui voudraient voir des frontières hermétiques à certains profils de migrants, et qui en même temps, lorsqu’ils partent en vacances, ferment complètement les yeux sur l’origine et la situation irrégulière des personnes qui nettoient leur chambre d’hôtel ou sont en cuisine du restaurant en bord de mer. Pourvu qu’ils aient leur confort au meilleur prix. Et demain, lorsqu’ils seront en EHPAD, refuseront- ils les soins des auxiliaires de vie et aide soignants originaires d’Afrique mais qui seront surement les seuls à accepter de travailler dans ces structures aux logiques infernales de rentabilité ? Et puis qui paiera leur retraite ?
Main-d’oeuvre importée
Pour concilier modèle économique neo-libéral et politiques migratoires xénophobes, à ce jour, le gouvernement semble avoir trouver une solution : importer de la main-d’oeuvre étrangère à la demande. En effet, sous la houlette du ministère de l’Intérieur, l’UMIH, principal syndicat patronal de l’hôtellerie et de la restauration tente de signer une convention avec la Tunisie afin de faire venir des jeunes travailleurs étrangers pour la saison. Quelle absurdité quand on renvoie à coup d’OQTF des jeunes travailleurs étrangers qui eux sont formés, parfois déjà en poste et qui participent à la vie locale. C’était le cas d’Adama qui avait eu plusieurs promesses d’embauche, avant de décrocher un CDI dans un hôtel, dont la patronne était prête à payer une amende pour combler son manque d’effectif et garantir ainsi son activité. Il a pendant quatre ans contribué à la vie ici en étant bénévole pour le point accueil jour, au festival EHZ, en portant le témoin de la Korrika, ou en aidant plusieurs personnes âgées pendant le confinement… Pourtant le gouvernement s’acharne à criminaliser ces migrants. Il nous revient de lui donner tort en continuant à les accueillir et faire preuve de solidarité, c’est le meilleur investissement qu’il soit pour l’avenir.