Les équilibres politiques évoluent sur notre territoire. À l’occasion du premier congrès d’EHBAI, il est temps de redéfinir la stratégie abertzale, notamment au sein de la Communauté d’agglomération Pays Basque.
La séance du Conseil Communautaire du 10 avril 2021 avait marqué un précédent vers une nouvelle séquence pour la CAPB avec des débats portant sur trois sujets majeurs : le Plan local de l’habitat, le Budget primitif et la révision des taux d’imposition.
À cette occasion, je publiais une analyse dans ces mêmes colonnes, y voyant un tournant majeur dans la “ maison commune ” en direction d’une politisation de l’institution qui constitue aujourd’hui une zone d’enjeu nouvelle pour les acteurs externes qui tentent d’y influer.
Or, le 9 juillet dernier, trois nouvelles délibérations ont de nouveau secoué la séance plénière avec l’adoption à une très courte majorité – à bulletin secret – du Projet de territoire, du Pacte financier et fiscal et du Plan pluriannuel d’investissement.
Les propos marquants ont surtout porté sur la légitime question du fonctionnement démocratique de la CAPB et notamment de la relation subsidiaire avec les territoires infra-communautaires.
Du reste, c’est un sujet sur lequel Batera avait déjà apporté en 2019 un certain nombre de préconisations dans son audit citoyen de la gouvernance. Mais les débats nourris de la séance ont aussi permis de mettre en lumière de nouveaux jeux d’acteurs internes entre les élus qui commencent à placer des pièces au centre de l’échiquier, en créant une ouverture et à cristalliser des orientations dont la trajectoire peut impacter l’échéance des élections municipales et communautaires de 2026.
Par ailleurs, les récents et rapides mouvements des responsables du centre et tout particulièrement d’EAJ-PNB en Ipar Euskal Herri sont assez évocateurs en ce sens. Ces mouvements sont à replacer dans une reconfiguration politique plus générale pour pouvoir en cerner les enjeux liés à la prise du centre politique en Pays Basque Nord.
Balle au centre
En effet, les dernières séquences électorales ont conduit à une reconfiguration profonde du panorama politique français en trois grands blocs (gauche polarisée par LFI, centre d’Ensemble-majorité présidentielle, extrême-droite du RN).
Les deux formations latérales sont particulièrement faibles sur notre territoire.
Sur le flanc extrême droite, le parti de Marine Le Pen ne trouve pas d’assise locale. Sur le flanc gauche, nous assistons à une montée des abertzale de gauche écologistes et féministes qui attirent de plus en plus les publics auparavant traditionnellement acquis à la gauche étatique et, dans une moindre mesure, à des publics au profil plutôt centristes de gauche, humanistes, ancrés dans la défense du territoire.
En revanche, il y a une inflation considérable du centre droit qui absorbe l’électorat de l’aile droite du PS et de l’aile centriste de LR et l’agrège sur un capital de base qui était particulièrement élevé sur notre territoire ; ce qui en fait, relativement loin devant EH Bai, la première force politique.
Épigastre et hypogastre
L’hypothèse forte ici consisterait à penser que le bloc du centre de gravité dispose maintenant de suffisamment d’espace pour y développer en son sein plusieurs formations politiques qui pourraient être compétitives entre elles pour l’hégémonie politique.
Or, si l’on observe de plus près les tendances de votes, notamment de la dernière élection présidentielle, on peut voir qu’il existe au moins deux logiques distinctes dans l’électorat centriste en Pays Basque Nord : un vote Jean Lassalle dans les communes rurales de l’intérieur et un vote Macron sur les communes urbaines du littoral.
À la conquête de la région ombilicale
La nature des points de crispation entre élus du territoire qui se sont récemment accentués pourrait laisser penser qu’il y a là les débuts d’une fissure qui lézarderait entre deux centres et que les récents mouvements de certains responsables centristes pourraient peut-être souhaiter davantage l’exploiter pour y creuser une brèche.
Cela pose la nécessité d’être attentifs aux jeux de positionnements qui se dérouleront dans les prochains mois et années pour cibler les périmètres idéologiques, les ensembles de soutiens, les formations politiques et les responsables qui pourraient souhaiter se mesurer au sein de cet espace hégémonique.
Nous sommes à un moment prématuré pour parler de l’émergence d’une incarnation locale d’un·e Emmanuel Macron, d’un·e Jean Lassalle, ou encore – dans un esprit plus intermédiaire de synthèse et d’équilibre du bloc – d’un·e François Bayrou, mais les signes avant-coureurs d’un tel scénario semblent s’accélérer sérieusement.
Évidemment, ce bloc centriste ne fonctionne pas en vase clos et tout mouvement des autres formations aura des incidences sur les modalités de composition de ce centre, qu’il provienne des forces de gauche étatiques en perte de vitesse, des forces centristes voire franchement droitières pro-département 64, mais surtout des abertzale de gauche qui constituent la deuxième force politique du territoire.
Et les abertzale de gauche ?
Les abertzale de gauche, écologistes et féministes jouent une partition consciencieuse dans cette configuration entre deux logiques nécessaires, mais qui peuvent paraître antagoniques et dont la complémentarité nécessite un travail permanent d’équilibrage :
– d’un côté, au court terme, accélérer la progression et continuer à attirer les publics en marquant l’agenda politique à partir d’une vision abertzale de gauche, écologiste et féministe représentative des acteurs mobilisés sur les problématiques des habitants d’Iparralde et sur les luttes populaires dont une partie est d’ailleurs parfois malaisante pour Sabin Etxea (lutte contre la LGV, Processus de Paix impliquant la société civile…) comme pour d’autres élus. Cela implique aussi d’aborder avec lucidité et une exigence aigüe les garanties de démocratie interne à toutes les institutions du territoire ; ce qui caractérise depuis toujours le combat des abertzale de gauche dans la volonté de prise du pouvoir politique pour le redonner aux forces populaires par d’autres formes de gestion des pouvoirs publics.
– d’un autre côté, le dépassement du clivage de court terme pour bâtir des espaces transversaux et aller chercher au moyen terme des solutions structurantes aussi bien aux problématiques du territoire qu’aux problématiques de fonctionnement interne qui passent notamment par une évolution du statut institutionnel du Pays Basque Nord.
Le projet et l’outil
La CAPB, comme toute institution politique, est un outil de souveraineté au service d’une population qui souhaite prendre en charge la conduite de son projet de société. Aussi, la première question qui se pose consiste à savoir ce que la population, la société civile et les acteurs du territoire souhaitent faire ensemble ; deuxièmement, si l’outil actuel est adapté à ce que l’on souhaite faire ; et enfin vient la question de savoir si l’outil est correctement manié par les artisans.
Il était clair pour tous les acteurs, avant même sa création, que la CAPB serait un outil dont la nature est structurellement en deçà de ce que la gestion d’un territoire tel que le Pays Basque Nord suppose, et ce, quel qu’en soit le mode de gouvernance.
Il était clair pour tous les acteurs,
avant même sa création,
que la CAPB serait un outil
dont la nature est structurellement
en deçà de ce que la gestion d’un territoire
tel que le Pays Basque Nord suppose,
et ce, quel qu’en soit le mode de gouvernance.
Aussi, en prenant les choses dans le sens inverse, dans cette configuration de clivage interne, un des risques essentiels consisterait à créer un point de fixation sur le mode de gouvernance en n’ayant d’autre ambition que la prise du pouvoir immédiat avec une stricte démarche de gestion de l’existant provoquant au passage un dommage collatéral irréversible, fracturant les dynamiques politiques et populaires larges et compromettant la possibilité d’aller plus loin en termes de souveraineté politique et de résolution des problématiques rencontrées par les habitants d’Ipar Euskal Herri.
Un des risques essentiels
consisterait à créer un point de fixation
sur le mode de gouvernance
en n’ayant d’autre ambition
que la prise du pouvoir immédiat
avec une stricte démarche de gestion de l’existant
provoquant au passage un dommage collatéral irréversible.
Les abertzale de gauche, écologistes et féministes auront un rôle prépondérant dans les prochains mois sur ces questions qui feront partie des enjeux structurants pour l’avenir. Je ne peux qu’inviter toutes les personnes qui souhaitent partager et discuter autour de ces réflexions à venir participer au premier Congrès d’EH Bai qui se déroule actuellement et jusqu’au 26 novembre à Bayonne. Parte hartu eta kidetu.