Dans votre hommage à Txillardegi, vous avez raison de dire qu’il est le père du basque standard, «unifié». Par contre votre référence au processus comporte des erreurs et des omissions de fond. Je peux en témoigner pour avoir participé à ce travail dès le début. De l’automne 1963 à l’été 1964, une fois par mois, au 14 rue des Cordeliers, Txillardegi réunit autour de lui une équipe de basquisants, dont j’étais, pour jeter les bases de départ vers la formation de ce basque écrit commun qui s’est approfondi, enrichi et généralisé depuis, et qui continue à le faire, sans abolir les dialectes comme le souletin, le biscayen, etc. Contrairement à des préjugés tenaces, ces variétés régionales de l’euskara gardent toute leur place dans leurs créneaux habituels, notamment la littérature traditionnelle (liturgie, pastorale, etc.) et la communication de proximité, avec l’aval et le soutien de notre Académie: pour celle-ci, euskara batua est le basque commun, mais pas le basque unique.
Les fruits de ce travail furent présentés les 29 et 30 août 1964 dans un congrès, Baionako Biltzarra, toujours au 14 rue des Cordeliers. Il réunit sous le patronage de Pierre Lafitte un groupe important de basquisants des deux côtés de la frontière. Les conclusions retenues par cette assemblée furent présentées à l’Académie de la Langue Bas-que Euskaltzaindia, qui les adopta, quoique à une très courte majorité, après le congrès d’Arantzazu tenu dans l’été 1968.
C’est là qu’intervint Michelena, prenant ouvertement le relais de Txillardegi. Son autorité scientifique et morale permit d’officialiser les prémices du basque standard et d’établir la légitimité du processus, no-tamment auprès de son parti, le PNV, dont les membres d’âge mûr, souvent adeptes du purisme néologiste inventé par Sabino, étaient hostiles par principe à l’idée d’un basque de synthèse, élaboré pour l’essentiel à partir des éléments communs aux dialectes centraux (guipuscoan, labourdin, navarrais), autour (il faut l’avouer) du verbe guipuscoan, plus alerte que le majestueux verbe navarro-labourdin.
Krutwig ne participa nullement à ce projet, trop guipuscoan à ses yeux: il tenait à la généralisation du labourdin «classique» selon lui: pas celui d’Axular, trop populaire à ses yeux, mais celui plus archaïque de Lizarraga dans Testament Berria, plus artificiel aussi, car il s’agissait déjà d’un basque de synthèse concocté pour le Pays Basque nord. De plus Krutwig refusait la simplification de l’orthographe proposée par Txillardegi et son équipe: il restait très attaché aux PH, Y, etc. hérités du grec ancien, car il était un savant helléniste, et aussi un élitiste affirmé.
Voici la liste des huit participants habituels au groupe de travail de 1963-1964: Solaun et Monzon (membres du PNV), Txillardegi, Bilbao, Eneko Irigarai (ETA), J-L. Davant (Enbata), les abbés Andiazabal et Roger Idiart. Les abbés Hiriart-Urruty et Lafitte prirent part à la dernière réunion, en vue du congrès. Voilà les faits de base.
Jean-Louis Davant