Retour sur une polémique par Jakes Bortayrou

La revendication des 32h incluse dans le programme d’EH Bai lors des élections législatives a suscité interrogations et critiques parmi les abertzale, certains lui imputant même des pertes de voix. Gauchiste, irréaliste, provocatrice vis- à-vis des paysans, des artisans et des professions libérales, inadaptée aux TPE majoritaires en Pays Basque, la liste a été longue sans que le temps de la campagne ne permette de développer une explication argumentée. L’affaire a au moins permis de mettre à jour la nécessité d’un débat de fond sur le projet social et économique que la gauche abertzale souhaite porter.
La revendication de la réduction du temps de travail condense à la fois un choix de société, une réponse de gauche à la crise autant économique qu’écologique et donc une bifurcation stratégique vers un dépassement du système capitaliste productiviste. La RTT concerne les salarié-e-s qui représentent en Pays Basque Nord 82% de la population active. Dans le concret, le souci vient de sa mise en œuvre dans les TPE, très nombreuses en Pays Basque Nord (86% des entreprises ont moins de 10 salarié-e-s et représentent 33% de l’emploi salarié privé), mais des solutions existent et ont largement été documentées vers la fin des années 90 quand la question de la réduction du temps de travail occupait une place importante du débat politique (comme l’idée du «deuxième chèque» versé par la collectivité et permettant une RTT importante sans réduction de revenus). Depuis, 10 ans de gestion de la droite dont 5 de sarkozysme ont provoqué un repli idéologique catastrophique sur des valeurs réactionnaires («L’oisiveté est la mère de tous les vices» n’est pas loin) et dont les conséquences économiques sont clairement néfastes. Allonger la durée du travail (hebdomadaire ou par recul de l’âge de la retraite) est tout simplement une aberration économique et écologique.
Le chômage de masse qui s’est installé depuis 30 ans a suivi une évolution parallèle à l’augmentation de la part des profits dans la richesse produite. Pendant les décennies écoulées, les gains de productivité ont été captés par les actionnaires au nom de l’antienne fameuse qui se révéla fumeuse «les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain». Ces profits, loin d’être investis dans la modernisation de l’appareil productif ou la recherche pour une transition écologique, ont alimenté une spirale de spéculation financière (recherche effrénée des meilleurs retours sur investissement au delà de toute logique et sans aucune vision de long terme) qui nous a conduit à la crise actuelle. Il faut rompre avec cette logique. Aujourd’hui ces gains de productivité doivent servir à la création d’emplois par la réduction du temps de travail, à la revalorisation des bas salaires et à la protection sociale. La réduction du temps de travail sans baisse de revenus est donc une des modalités pour un meilleur partage des richesses produites. Elle reste donc l’axe majeur d’une politique vraiment progressiste. Sans même toucher aux fondements du capitalisme, rétablir dans un pays comme la France la proportion entre les dividendes versés aux actionnaires et la masse salariale telle qu’il y a 30 ans, dégagerait un montant de 60 milliards qui pourraient permettre la création de 2 millions d’emplois (au salaire brut médian). Mais des emplois pour quoi? C’est l’autre aspect d’un politique alternative: des emplois qui répondent à une utilité sociale avérée (éducation, santé, services à la personnes, transition écologique) et non pas soumis au seul critère de rentabilité pour l’actionnaire.
Réduire l’emprise du travail sur le temps de vie est un objectif constant de l’humanité : gagner du temps pour soi, pour sa famille, pour se cultiver, s’occuper de la cité, faire vivre la démocratie. A l’heure où la souffrance au travail fait des ravages, quelle société voulons nous : une société duale avec des inclus stressés et une masse de précaires et de chômeurs exclus ou une société où chacun travaille à la fois moins et mieux?
Reprendre le mouvement séculaire de la RTT dépasse le cadre des élections et des problématiques du Pays Basque Nord. C’est un combat global. C’est une urgence autant qu’un nécessité économique. Saurons nous l’imposer? Pas sûr, mais faut-il au moins la défendre et l’expliquer sans complexes.

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