Ça y est, c’est fini. Au moment où Dominique Joseph Garat faisait sa révérence devant les trois membres du bureau du Biltzar des communes du Pays Basque, le 4 novembre dernier à Saint-Pée, les Demo tiraient la leur et rangeaient définitivement les T-shirts jaunes.
Requiescat In Pace
La fin d’une telle aventure ne laisse pas indifférent. Certes, cela ne marquera peut-être pas l’histoire du monde du même poids que l’invention de l’écriture ou la première bombe atomique, mais j’ai la faiblesse de penser que ces quelques années d’activité militante ont apporté quelque chose au panorama politique du Pays Basque Nord. À mon avis, ce n’est pas en termes de rapport de force qu’il faut placer l’action des Demo. Jamais aucun demo n’a prétendu —ni même pensé— faire plier tel ou tel gouvernement sur les questions institutionnelle, linguistique ou carcérale qui constituaient le triptyque du mouvement. C’est pure cerise sur le gâteau si la création du pôle d’archives du Pays Basque vient couronner d’une victoire ces dix ans d’existence des Demo, et il serait de bien mauvaise foi de minimiser la portée de leur action en arguant du fait que l’euskara n’est toujours pas officiel ou le département toujours refusé. Car le but que les Demo se sont fixé dès leur naissance n’a pas varié: il s’agissait d’accompagner sur le mode de l’agit-prop l’action par ailleurs portée sur des modes plus classiques (élections, manifestations, consultations,… et les textes de loi eux-mêmes dans le cas des preso) par les mouvements politiques et sociaux. À ce titre, il ne s’est en aucune manière agi de se substituer à ces derniers, ni même d’en être l’avant-garde. D’ailleurs, et sans jamais avoir porté de jugement quelconque sur la lutte armée, en cela réside la grande différence que l’on peut opérer entre cette dynamique et la logique politico-militaire de ces dernières an-nées, hors bien sûr la nature totalement non-violente de la dynamique.
D’abord et avant tout, les Demo resteront comme les porteurs d’un mode de communication alternative à ce qui se faisait jusqu’alors en Pays Basque Nord. Rien de révolutionnaire par rapport à ce que Greenpeace, Act’up, ou plus près de nous les Solidarios avaient pu faire avant eux, mais les Demo ont peu à peu imposé leur patte, ajoutant à l’agit-prop classique une forte dose d’humour et d’esprit cabotin. Si l’on ne peut mettre en doute l’absence de concession sur la nature des revendications, ni la détermination qui a valu à plusieurs de ses militant(e)s condamnations et autres violences policières, il me semble que c’est cet esprit «Robin de bois» des Demo qui représente leur principal apport. Non pas que les affaires politiques ne soient pas des affaires sérieuses —surtout lorsqu’elles ont autant de conséquences judiciaires—, mais cet esprit a permis de changer la perception du mouvement basque et donc de ses revendications par la population.
L’adhésion par le sourire
Car il faut bien le reconnaître, jusqu’à une période récente, les abertzale étions pour beaucoup les «gros cons» du panorama politique local: ceux qui posaient des bombes, ceux qui réclamaient l’indépendance au milieu d’une population largement hostile, ceux qui se considéraient en guerre là où la plupart n’y voyaient que trouble à l’ordre public par une poignée de marginaux ultra-minoritaires. Et pour la première fois, voilà que les abertzale, sans abandonner par ailleurs leur propre message par le biais d’autres organisations, commencent à fonder une partie de leur action sur des revendications majoritaires et donc susceptibles d’être assumées par la population. Voilà aussi qu’ils le font en faisant rire les gens, en apprenant à s’allier la presse plutôt qu’à s’en défier, en suscitant la sympathie et le soutien lorsqu’ils se font maltraiter par la police alors qu’ils ne leur présentent que résistance passive, chants ou danses… Pour une fois, les «Basques» deviennent les gentils et la police les méchants, donnant par ricochet un éclairage nouveau sur les messages et leurs promoteurs.
Face à cela, quelle prise avaient l’État ou les élus locaux? François Bayrou avait bien parlé de «pas supplémentaire dans la stratégie de la tension en Pays Basque» au lendemain de l’action des chaises du Parlement de Navarre; mais le décalage entre la gravité du ton et des propos et la symbolique de l’action n’avait eu d’autre effet que de le rendre ridicule, offrant en outre aux Demo l’occasion d’en rire encore davantage. Les autres élus furent plus prudents par la suite.
Une touche dans la palette
Faire rire les gens ne suffira jamais à l’action politique. Ce n’est d’ailleurs pas son objectif premier et la progression du mouvement abertzale est et sera à mettre, d’abord et avant tout, au crédit des partis politiques et des mouvements sociaux. Mais maintenant que les Demo disparaissent définitivement, je ne peux m’empêcher de penser que les abertzale devront conserver à l’esprit le précepte très Maoïste du militant agissant au cœur de la société comme un «poisson dans l’eau», parvenant à porter ses idées en gagnant les cœurs et les âmes; surtout à l’heure où la société se méfie du politique, largement du fait de ce dernier. Dans la palette de l’action militante, ne pas oublier cette touche me paraît important car on ne convainc jamais mieux que lorsque l’on suscite la sympathie.
Peio Etcheverry-Ainchart