«Il n’y a pas de conflit et nous avons vaincu le terrorisme». La phrase est répétée en boucle à Madrid et en écho à Paris. S’y rajoute un révisionnisme historique qui disqualifie selon l’amalgame de l’idéologie anti-terroriste d’aujourd’hui, y compris les périodes où l’action d’ETA bénéficiait d’un large soutien populaire en Pays Basque et d’une sympathie indéniable dans une bonne partie de la gauche européenne. Tout cela masque mal un sentiment de désorientation, alors que tous les schémas et les stéréotypes hérités du passé sont chamboulés. Nous vivons actuellement en Pays Basque un de ces tournants historiques où tout le monde perçoit que rien ne sera désormais plus pareil. Au-delà de l’émotion, du vécu, des souvenirs et des souffrances de chaque camp, la rupture s’impose à tous. La semaine du 17 au 21 octobre a constitué un big-bang dont les effets vont se développer sur plusieurs années.
La déclaration issue de la conférence de paix de Donostia constitue une feuille de route précieuse pour les temps à venir. C’est l’application au contexte du Pays Basque d’une méthode qui a fait ses preuves ailleurs pour résoudre des conflits violents générés par une oppression, la négation de droits ou de souveraineté. Suite à ce big-bang, différents processus vont se mettre en branle, qui ont chacun leur logique et leur déploiement dans le temps, même si tous se dérouleront plus ou moins simultanément et dans le même espace. La question du temps justement sera cruciale. Certains comptent en mois, d’autres en années. Éclaircissement indispensable pour limiter les malentendus, la confusion, les frustrations et les blocages. Ces processus seront tout sauf un long fleuve tranquille. Ils feront l’objet d’affrontements politiques et seront le fruit de rapports de force. La mobilisation et la volonté populaire seront déterminantes dans leur déroulement. La déclaration de Donostia en définit les principaux.
Le traitement des conséquences du conflit tout d’abord: la question des prisonniers (leur rapprochement, prélude à leur libération), le désarmement, la fin des mesures d’exception et d’interdiction, de la torture, des mandats d’arrêts européens… C’est le processus qui doit s’enclencher immédiatement et même s’il se prolonge sur quelques années, doit donner rapidement des résultats concrets sous peine de pourrissement de la situation. La reconnaissance et l’assistance à toutes les victimes, la réconciliation au sein de la société constituent le troisième point de la déclaration. Au vu d’autres expériences historiques on peut penser que la réconciliation sera affaire de décennies. Concernant la reconnaissance des victimes, des étapes symboliques très fortes peuvent être rapidement franchies de la part d’ETA. Qu’en sera-t-il du côté des autorités espagnoles et françaises? Ad-mettre les exécutions sommaires, la brutalité policière, la torture institutionnalisée, les procès iniques ou la «guerre sale» prendra sûrement du temps. L’État britannique ne vient-il pas seulement de reconnaître les fautes de son armée lors du massacre de Bloody Sunday en 1972? Le quatrième point recommande d’aborder les questions politiques. C’est évidemment le nœud de l’affaire, déjà synthétisé dans le texte de Lizarra-Garazi: quel niveau de souveraineté pour Euskal Herria, quels territoires pour le Pays Basque, qui décide et comment? La phase de «normalisation politique» qui débute ne consistera pas à mettre ces questions entre parenthèses mais à explorer concrètement entre tous les acteurs du conflit les voies, procédures et échéances démocratiques permettant de trancher ces débats. Là encore un regard sur d’autres expériences laisse penser que le compteur tournera au moins sur une décennie.
La situation offre par ailleurs de nouvelles opportunités pour le processus souverainiste et la construction nationale. En ces temps de crise systémique profonde, donner un contenu social au projet indépendan-tiste pour étendre à toute la société l’envie de souveraineté, mettre en place des outils pour renforcer les liens entres territoires et la conscience d’un destin commun pour tou(te)s ses habitant(e)s constituent des enjeux majeur pour le camp abertzale.
Tous ces processus sont autant de strates superposées. Tous nécessitent des stratégies et des alliances adéquates. La phase politique qui s’ouvre devant nous est complexe, prometteuse de rudes combats et confrontations démocratiques, pleine d’incertitudes autant que d’espoirs, de succès et de blocages probables mais, c’est le vœux de la majorité au Pays Basque, le sang et les larmes en moins par rapport à la phase qui s’achève.