« Altertzen » est le nom de l’étude sociologique que mène Txomin Poveda dans le cadre de son doctorat de sociologie à l’Université de Pau et des Pays de l’Adour. Suite à la présentation du parcours et du terrain de recherche du jeune doctorant, Enbata.Info publie la deuxième et dernière partie de cette interview permettant de mieux connaître les pratiques militantes dans ce territoire d’alternatives qu’est le Pays Basque Nord. (…)
Comment se déroule concrètement votre intervention sociologique ?
Concrètement, nous constituons des groupes de recherche composés d’une dizaine de personnes provenant de différentes générations, organisations, territoires et secteurs de façon à obtenir des visions plurielles et tendre vers un regard transversal du recours aux alternatives. Chaque groupe se réunit six à huit fois tous les quinze jours pour des séances qui durent 1h30 à 3h pour les plus longues. En plus de cette participation, et pour faciliter le travail de réflexivité, les personnes sont invitées à relire les échanges de chaque séance qui sont enregistrés et retranscrits mot pour mot.
Les premières séances sont consacrées aux témoignages de chacun·e concernant son parcours, sa trajectoire pour comprendre pourquoi et comment on en vient à s’engager et, plus particulièrement, à s’engager dans des organisations alternatives. Les séances se poursuivent sur le vécu concret de ces initiatives alternatives, les choix réalisés ou encore les difficultés rencontrées de façon à croiser les regards et tenter d’identifier le sens collectif investi dans ces expériences individuelles. Pour terminer, les dernières séances prennent une tonalité clairement analytique dans lesquelles des hypothèses construites à partir des échanges collectés sont soumises aux participant·e·s, généralement sous la forme de schémas, qui sont alors chargé·e·s de les discuter, de les valider ou invalider.
Cela demande une grande organisation et l’aide d’une équipe de recherche…
Effectivement, c’est d’ailleurs ce qui explique la faible utilisation de cette méthode qui nécessite des moyens logistiques, financiers mais surtout humains importants. Elle exige en effet plusieurs personnes pour préparer, animer et analyser les séances des différents groupes qui fonctionnent en simultané.
C’est pour cela que nous avons créé l’association Altertzen réunissant une petite équipe de recherche composée de jeunes diplômé·e·s en animation socioculturelle, en sociologie ou encore en sciences politiques. Ce collectif, essentiellement composé de femmes pour garantir une mixité de l’équipe, comprend plusieurs bascophones dans le cas où un groupe souhaiterait utiliser l’euskara comme langue de communication. Cette démarche collective me semblait aussi être une caractéristique intéressante qui permet de partager, d’échanger et de décloisonner une aventure doctorale qui est généralement bien solitaire.
Qu’est-ce que cette étude apport aux militant·e·s qui participent et au territoire ?
À l’origine lorsqu’il crée cette méthode, pour Touraine, « l’intervention fait apparaître aux acteurs leur plus haute capacité d’action historique et par conséquent les aide à élever le niveau de projet de leur mouvement. Telle est sa fonction : connaissance et action associées »[1].
Plus modestement, dans un quotidien rythmé par des engagements très prenants, intenses et concentrés, cette étude leur offre un temps de pause dans laquelle les participant·e·s sont invité·e·s à prendre du recul, à faire le point sur leurs parcours, leurs choix et, pour reprendre un témoignage, à penser leur action « moins instinctivement et plus lucidement ». En définitive, cet exercice leur permet progressivement, avec le concours de l’équipe de recherche, de devenir eux/elles-mêmes les analystes de leurs propres pratiques.
Quels sont les premiers retours issus des 2 premiers groupes ayant participé ?
Ils sont extrêmement positifs. Nous en sommes d’ailleurs les premier·e·s réjoui·e·s mais aussi étonné·e·s. Alors que les personnes expriment au début une hésitation, tout à fait légitime au vu du nombre de séances et de l’implication nécessaire, elles rentrent finalement totalement dans l’exercice. À tel point que la durée des séances en devient difficile à respecter, les échanges se poursuivant souvent après et même entre deux séances où les participant·e·s partagent des opinions, des articles lus ou discutent de leurs réflexions avec des amis, de la famille… Beaucoup en arrivent finalement à regretter l’arrêt des séances ce qui est révélateur du besoin d’articuler à l’action concrète des moments de réflexion pour mieux nourrir en retour ces engagements . Mais notre plus grande satisfaction arrive lorsque les personnes nous déclarent que nous faisons émerger ensemble des analyses qui illustrent exactement ce qu’elles font comme elles ne l’ont jamais pensé.
Quels sont les prochaines étapes et quand est-ce que les conclusions de cette recherche seront connues ?
Nous sommes déjà bien avancés dans la phase de collecte et allons lancer deux nouveaux groupes dans les prochains jours. Il faudra encore attendre la phase d’analyse des résultats et la rédaction pour arriver à la publication finale. Pour les recherches doctorales, il est toujours difficile d’annoncer une date de fin précise car, par définition, c’est en cherchant que l’on découvre de nouvelles pistes de travail. Il faut donc réaliser un arbitrage entre durée et qualité, étant entendu que l’écart entre les deux correspond aux moyens dont on dispose. Le plus tôt sera le mieux mais comme on dit : tarrapata lan, kaka lan.
Ceci dit, cette méthode de co-construction avec les participant·e·s a l’avantage de leur restituer pendant l’enquête les savoirs extraits de leurs expériences ce qui contribue aussi à revisiter le rapport, souvent asymétrique, entre connaissance scientifique et pratique des acteurs.
[1] Alain Touraine, La voix et le regard, Paris, Seuil, 1978, p.299-300
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