Euskal Herria, terre de communs

 Vallée du Baztan, où 85 % des terres sont encore des communs.

Au fil des siècles, l’accaparement et la marchandisation de biens communs ont nourri le développement du capitalisme. Malgré ce démantèlement à grande échelle, on constate une persistance notable de « communs » en Euskal Herria, traduction d’une certaine conception du vivre ensemble.

Les travaux d’Elinor Ostrom [1] ont fortement contribué à populariser le concept de « commun » que l’on pourrait définir (en reprenant B. Coriat) comme une ressource en accès partagé, gérée par une communauté dont la gouvernance garantit sa pérennité. Il s’agit d’un concept utile pour penser la métamorphose écologique, mais il offre également un éclairage original sur la naissance et le développement du capitalisme. L’historien et anthropologue Karl Polanyi [2] nous en propose une description édifiante en montrant comment la marchandisation de la terre en a constitué l’un des axes principaux. Elle se matérialisa par le biais de la destruction des communs – « l’enclosure » – entamée en Angleterre au XVIe siècle et approfondie au XIXe siècle.
On peut constater en Euskal Herria une survivance remarquable des communs. En Iparralde, les syndicats de vallées en sont une illustration. Et pour ne donner qu’un exemple en Hegoalde, 85% des terres du Baztan sont encore des communs. On trouve également une expression forte de la vivacité des communs dans la notion « d’auzolana » à laquelle se réfèrent nombre de pratiques collectives. Enfin, comme l’a souligné Isabelle Bagdassarian dans sa thèse de doctorat, des alternatives comme l’Eusko relèvent de communs du XXIe siècle.

A l’origine des communs, le droit coutumier basque

Cette survivance des communs plonge ses racines dans la tradition des « fors/fueros », c’est-à-dire du droit coutumier basque dont les analyses de Maite Lafourcade ont mis en exergue son opposition au droit féodal. Elle est également la résultante de différentes séquences de résistance des Basques contre les pouvoirs centraux. C’est le cas de la révolte de Matalas en Soule. Elle éclate en 1639 en réaction à l’appropriation par Louis XIII des terres communes au nom du principe féodal « nulle terre sans Seigneur ». En élargissant le propos, il serait envisageable d’élaborer une interprétation « polanyienne » de divers épisodes de l’histoire d’Euskal Herria. C’est plus particulièrement vrai pour le XIXe siècle et l’industrialisation de la Biscaye qui présente des similitudes frappantes avec le récit de la révolution industrielle anglaise de Karl Polanyi.

Avant le XIXe siècle, les gisements de fer étaient gérés comme des communs (leur exploitation étant régie par les fueros de Biscaye). Ces communs seront remis en cause par une cascade de législations minières : lois de 1825, 1827, 1849, 1859, 1868… Dans le contexte d’une évolution des techniques sidérurgiques et d’une forte demande en provenance de l’Angleterre, c’est cette privatisation des communs qui permettra l’émergence d’une oligarchie industrielle et financière en Biscaye. On pense notamment à la famille Ybarra. En 1827, Jose Antonio Ybarra créera la société Ybarra, Mier y Compañía. En 1854, il donnera naissance à l’usine Nuestra Señora del Carmen qui deviendra Los Altos Hornos de Vizcaya en 1882. Son fils, Gabriel Ybarra, sera l’un des fondateurs du Banco de Bilbao en 1856.

Démantèlement des communs, dislocation des liens sociaux

Toujours au XIXe siècle, avec la fin des fueros, un des enjeux des guerres carlistes aura trait au processus de privatisation des terres (« desamortización »), c’est-à-dire au démantèlement des communs. Selon Karl Polanyi, au choc de la marchandisation violente de la terre, mais aussi du travail et de la monnaie, a correspondu une inversion de la hiérarchie des normes donnant la priorité à des critères économiques de rentabilité. Cette grande “transformation” suscitée par l’imposition du marché aura pour conséquences une dislocation des liens sociaux traditionnels et un mal-être profond des sociétés que les fascismes capitaliseront dans l’entre-deux-guerres au XXe siècle. Ainsi, au prisme d’une interprétation “polanyienne” de l’histoire d’Euskal Herria, au delà du fait national et identitaire, émerge de la lutte séculaire des Basques en faveur de leurs droits une dimension sociale qui se rapporte à une certaine conception du vivre ensemble, et de la façon de “faire société”.

[1] Voir : Elinor Ostrom (2010), Gouvernance des biens communs. Pour une nouvelle approche des ressources naturelles, Ed. De Boeck.
[2] Voir : Karl Polanyi (1944), La Grande Transformation, trad. Ed. Gallimard, 1983.

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