L’Édito du mensuel Enbata
On peut bien critiquer le président du Conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques sous toutes ses coutures politiques, c’est l’une des noblesses du débat d’idées et d’un fair-play qui ne risque pas d’entamer un cuir tanné par un bon demi-siècle de vie publique. Mais il faut aussi savoir saluer l’homme dans sa constance et sa détermination, sa véhémence et même sa témérité. Et reconnaître que Jean-Jacques Lasserre force l’admiration. A l’âge où n’importe quel conducteur de LGV aurait déjà fait valoir ses droits à une retraite bien méritée depuis plusieurs décennies, le Bidachot fait encore vrombir son moteur au mépris des virages dangereux et des dures lois de la réalité.
Pas plus tard que ce mercredi 28 septembre, notre ancien sénateur semblait vaguer sereinement sur le sentier tout tracé d’un entretien au journal Sud-Ouest, éludant les questions sur les difficultés d’accès au logement dans son département par des formules décontractées et confortables, sur coussins d’huile. “Aujourd’hui, aucun indicateur ne montre une possible amélioration de la situation” estimait-il.
Et de proposer, main ballante sur la portière : “Pour faire face à ces difficultés, il faut de la rigueur, de l’exemplarité dans les comportements et que la loi accompagne ces incitations”. L’avantage de la formule est qu’elle peut négocier n’importe quel virage et même, en l’occurrence, celle d’un marché spéculatif qui respecterait spontanément les limitations de vitesse.
Et puis Jean-Jacques Lasserre déboîte et lâche le mors de ses chevaux vapeur.
Première : “Au Pays Basque, il faut sortir de cette identité fossilisée que l’on constate çà et là”.
Seconde : “Elle peut conduire au repli sur soi, et pire au communautarisme, même si ce n’est pas le cas ici”.
Troisième : “Ce ne sont pas les valeurs d’ouverture et d’accueil du Pays Basque. Il doit rester attractif”.
Quatrième : “Au nom d’une défense qui est nécessaire, l’identité ne doit pas devenir totalement immobile”.
Cinquième : “La société doit s’emparer de ces sujets dans leur ensemble, pas seulement par le biais du militantisme”. Une fois lancé, le président du Conseil départemental scande, sans craindre la sortie de route, qu’il n’est “pas un partisan de la désobéissance civile” qui “peut générer de la violence, une escalade de l’incompréhension”.
Et boum… le platane !
Car si sur le fond tout le monde s’accorde à récuser le repli sur soi, l’identité fossilisée ou le communautarisme, il faut bien imaginer ce que visait Jean- Jacques Lasserre dans cette accélération toute politique, peut être même analyser son carburant et, pour le coup, cette énergie fossile qui le propulse.
Car au fond, c’est bien “celui qui dit qui est” pourrait-on lâcher narquois, quand les psychologues évoquerait plutôt une “projection”.
Au moment où Jean-Jacques Lasserre parlait, le comité de lutte contre les baux frauduleux venait de naître au Pays Basque, à l’initiative du préfet et dans la dynamique militante de l’association Alda. La mesure de compensation portée par la Communauté d’agglomération et visant à limiter le nombre de meublés de tourisme triomphait au tribunal de Pau, après une année de mobilisation de la société basque.
Et c’est encore la mobilisation du territoire qui a eu raison des mesures d’exception pour obtenir la liberté conditionnelle de deux prisonniers basques emblématiques, mêlant, ce 22 septembre, militants et élus dans une “cellule de crise”, sans d’ailleurs que ne s’y joigne Jean-Jacques Lasserre.
Ce dernier n’est pas dans le dénigrement idéologique de l’Agglomération basque, comme la candidate malheureuse aux législatives de la France insoumise, Sandra Pereira-Ostanel qui jugeait, le 21 septembre au conseil municipal d’Anglet, dans un zèle suicidaire, que “l’intérêt de l’ensemble des citoyens a été écrasé par une petite partie, plus passionnée par la reconnaissance de particularismes locaux que par le bien-être général.”
Jean-Jacques Lasserre est un ennemi de premier plan de cette structure qui grignote les compétences du Conseil général, comme il était il y a vingt ans contre un département Pays Basque qui promettait de scinder en deux son domaine de prédilection.
Il y a de la constance politique et sans doute un biais de complaisance à nier son échec. Car la Communauté d’agglomération Pays Basque tient sa force de son territoire, de la cohérence de son identité et de ce tissus militant qui remporte davantage de batailles pour la paix au Pays Basque, pour la justice sociale, pour la transition écologique ou pour la préservation de ses terres agricoles, qu’un Conseil départemental qui peine encore à se faire entendre auprès du pouvoir central parisien.
Mais il reste cette énergie pour détricoter le fragile édifice. Une énergie déjà fossile, certes, mais il convient, en politique, de surveiller ceux qui ont de bonnes raisons de croire qu’ils n’ont pas tort.