La Korrika ne se regarde pas, elle se vit. Et ne vit que par la participation active des coureurs. Chacun-e choisit de donner ce qu’il/elle peut d’énergie et de sueur. Chacun-e choisit ses lieux, ses moments pour fournir son effort. Et la magie fonctionne. La symbolique du témoin transmis de mains en mains, la carte du pays de la langue basque qui se dessine jour après jour, un sentiment de solidarité aussi concret que joyeux.
L’horloge électronique du tableau de bord affiche 4 heures du matin. Seconde après seconde, les essuie-glaces perdent leur vaine bataille contre la pluie glacée qui tombe depuis presque une heure. Aucun véhicule en sens inverse, quelques rares habitations qui se laissent deviner dans l’obscurité de chaque côté de la route sinueuse entre Ainhoa et Sara. A intervalles réguliers le faisceau des phares attrape des grappes humaines sur le bas-côté. D’abord les jambes, puis le buste et les visages : cinq, dix, quinze, parfois trente personnes attendent. Quelque chose d’irréel et de totalement incongru : malgré la pluie, l’heure trop tardive ou trop matinale, toutes ces personnes sourient.
Les luttes de longue haleine ont besoin de motivations solides. L’énergie militante doit être alimentée en permanence comme on souffle sur une braise. Les intérêts objectifs des individus ou des collectifs, communautés ou classes sociales, sont importants de même que les sentiments. Ainsi la colère ou la peur sont parfois à l’origine des mouvement sociaux ou les entretiennent. Mais sur la durée, d’autres éléments sont indispensables comme par exemple le plaisir ou la joie. Et c’est précisément ce qu’apporte tous les deux ans la Korrika aux défenseurs de la langue basque, au peuple basque tout simplement, tant il est vrai que c’est dans ces moments là que ce terme prend tout sons sens.
Des vécus semblables existent dans les manifestations, les meetings, les concerts monstres ou intimistes. Mais personne ne niera que la course-relais en faveur de la langue basque est devenue une source singulière et inépuisable d’émotions partagées pour des milliers d’habitant-e-s de ce pays. Malgré son caractère totalement répétitif et monotone elle a de multiples visages. Au fur et à mesure que s’égrènent les heures, que se relaient les coureurs et changent les paysages, émergent des ambiances différentes et des émotions à l’avenant : nuit, jour, entre béton et bitume, à travers les champs, sous le soleil ou la pluie. A la différence de la plupart des manifestations collectives, les gens ne vont pas à l’évènement, c’est lui qui vient les visiter, aspirant et déposant les participant-e-s aux bords de la route. La Korrika ne se regarde pas, elle se vit. Et ne vit que par la participation active des coureurs. Chacun-e choisira de donner ce qu’il/elle peut d’énergie et de sueur. Chacun-e choisira ses lieux, ses moments pour fournir son effort. Et la magie fonctionne. La symbolique du témoin transmis de mains en mains, la carte du pays de la langue basque qui se dessine jour après jour, un sentiment de solidarité aussi concret que joyeux : je peux compter sur les autres pour que le témoin arrive jusqu’à mon quartier, mon village et ils comptent sur moi de la même façon.
Dans le long combat pour la réappropriation linguistique, la Korrika est un outil puissant pour étendre l’implication de secteurs toujours plus larges de la société autant qu’une bouffée d’oxygène pour l’action militante. Le combat engagé est en effet ambitieux. Non seulement revendiquer reconnaissance, législations et moyens financiers mais surtout changer les habitudes linguistiques individuelles et collectives. Soit, parcourir le chemin inverse à celui fait au siècle dernier alors que les langues dominantes françaises et espagnoles s’imposaient souvent violemment avant d’être acceptée peu à peu par les jeunes générations comme langue de promotion et de la modernité. Aujourd’hui il faut nager à contre courant. La force de l’inertie est l’ennemi principal. Tout bascophone connaît cela et particulièrement les euskaldun berri auxquel-le-s la Korrika 18 a rendu hommage. Euskaldun berri qui, quelque soit leur parcours, décrivent tou-te-s la joie profonde qu’ils/elles ont ressentie quand la langue basque devenant outil de communication, ils/elles ont aussi acquis une nouvelle façon d’être et ont modifié le regard des autres. La Korrika nous donne envie de continuer le combat. La Korrika suscite le désir de se joindre à nous. Allez, ne boudons pas notre plaisir !
La Korrika nous donne envie de continuer le combat.
La Korrika suscite le désir de se joindre à nous.