L’Edito du mensuel Enbata
Les enfants sont facétieux. Celles-ci ont 10 et 6 ans et s’amusent dans les rues de Bayonne aux dépends d’un jeune homme qui les a gratifiées d’un « MileZker » un peu fébrile. « M’aita, ça se voit trop qu’il parle pas basque, alors pourquoi il nous dit MileZker » ? Enfants gâtées…
Fut un temps pas si lointain, cette même situation aurait sans doute engendré un regard torve du jeune homme, un rien méprisant pour des jeunes filles qui parlent une langue du passé et sans avenir. Mais en quelques décennies, les choses ont radicalement changé. Non que la survie de l’euskara soit assurée, noyée dans un océan de français et d’espagnol, mais au moins son usage génère des valeurs positives. Les prénoms basques fleurissent, comme les noms d’associations, les enseignes de commerces, impérativement en euskara. On emballe les tranches de jambon dans un cellophane de culture, on vend un brin d’histoire dans un T-Shirt, on rajoute plus de « k » qu’il n’en faut pour faire kool, l’Ikuriña est brandi pour soutenir le Biarritz Olympique et, s’il peut paraître éprouvant d’entendre meugler à chaque rassemblement « Banane on est là » pour ne pas couper les ailes de l’oiseau de Laboa, il faut au contraire se réjouir de cette avancée considérable. Et c’est encore un sénateur Les Républicains qui demande au ministre de la culture des épreuves en langue basque pour nos bacheliers.
Reste aux bascophones à ne pas être timorés et à pousser leur avantage en osant systématiquement l’euskara dans la sphère publique. Combien d’euskaldun se croisent en français sans se dévoiler ? Un petit « egun on » ne peut plus nuire et même un « MileZker » emprunté doit recevoir un « deusetaz » encourageant. C’est toute l’idée du programme Euskaraldia qui se déroule cette fin novembre. Partant du constat peu glorieux que plus de 20 % de la population du Pays Basque nord maîtrise l’euskara mais que seul 8 % l’utilise autant que le français, il s’agit d’abord de se reconnaître entre locuteurs confirmés et apprenants, grâce à deux badges et de distinguer les lieux où le basque est utilisé. « Ahobizi » pour les euskaldun, « Belarriprest » pour ceux qui comprennent ou commencent à bredouiller et même « zartakoprest » proposait un dessinateur de Berria dans un élan ironique et finalement prophétique, pour encourager les « prêts à gifler ».
Car l’euskara vient de recevoir un joli coup de main, surgit des fouilles archéologiques de Aranguren. Une main de bronze, vieille de plus de 2000 ans, gravée d’un basque ancien, d’une époque où ni le français ni l’espagnol n’existaient. Une preuve écrite que le basque n’est pas une sous-langue orale, argument sous-jacent de suprémacistes espagnols et français.
Une belle gifle, bien reçue dans la presse espagnole. Ou la main de Dieu, pour reprendre une formule célèbre de l’événement footballistique mondial qui a cours en ce moment et fait naître un sentiment tout rond de fierté nationale, compare Peio Etcheverry-Ainchart. Un cadeau du passé dont se détache le mot « Sorioneku », la bonne fortune. Pourquoi ne pas intégrer ce mot dans notre salut, à la place du bien pauvre « adio » ? questionne Ellande Duny-Pétré.
La bonne fortune sourit aux basques audacieux. Euskaraldia a reçu 80 000 euros de la Communauté d’Agglomération Pays Basque et de l’Office public de la langue basque.
Signe de ce temps où le basque a le vent dans le dos, EHBai prend un nouvel élan à la faveur de son premier congrès. Les abertzale ne sont plus des repoussoirs pour la gauche française et pourtant, toute leur assemblée s’est déroulée en euskara, sous l’admiration des kanaks et des polynésiens. Et malgré une cacophonie au sein du mouvement lorsqu’à l’occasion du 11 novembre un « mort par la France Frantziak erailak » a surgi sur le monument aux morts d’Urrugne, suscitant l’indignation du maire abertzale Philippe Aramendi. Déjà, en 1963, le mouvement Enbata s’était désolidarisé d’un « Mort pour des prunes » plus rigolo sur le monument aux morts bayonnais. Même dans un bel élan, une société doit composer avec le sacré, comme cette main qui alimente sa mythologie, et les tabous qui sont les traces indélébiles de l’histoire.
Egun on,
C’est un détail, mais il me semble que le “mort pour des prunes” tagué sur le momnument aux morts de Bayonne, c’était plutôt au début des années 1990, à l’époque de la campagne pour l’insoumission.
Kaki = kaka eta izan ontsa!
je vote pour 1963
jxt
Sorioneku Remy, Antton eta zuer guzieri,
nere hautua ere 1963 urteari doa.
jxt
Egun on,
C’est un détail mais cela s’est bien produit en mai 1963. Le monument aux morts de Bayonne portait les inscriptions à la peinture noire “Gora Euzkadi” (sic) et “morts pour des prunes“ à l’endroit de l’inscription “Morts pour la France”. Le tout était signé FLB (Front de libération basque). Le député maire Henri Grenet avait porté plainte au nom de la Ville. Le mouvement Enbata s’est désolidarisé de cet acte qu’il imputait à des provocateurs cherchant à le discréditer. Il y a eu depuis d’autres inscriptions sur le monument, notamment dans le cadre de la campagne pour l’insoumission.