Alors que la Grèce et l’Italie peinent à faire face à l’afflux massif de migrants traversant la méditerranée pour fuir le désespoir, les autres pays de l’Union, à l’exception notable de l’Allemagne, sont plus que réticents à accueillir celles et ceux qui aspirent légitimement à un avenir meilleur. La France a montré sa frilosité avec l’affaire des 21 déplacés de Bayonne.
Dubliné
C’est autour de ce qualificatif que se structure aujourd’hui en partie les politiques migratoires des États européens et que se joue l’avenir de milliers de personnes migrantes. Ce règlement du 16 juin 2013, issu d’une Convention signée en 1990, institue le principe selon lequel le pays où ont été prises les empreintes de la personne migrante est celui qui est chargé de l’instruction de sa demande d’asile et de la décision finale, les autres États devant y transférer les personnes sollicitant l’asile sur leur territoire. En pratique il s’agit souvent de la Grèce ou de l’Italie, principales portes d’entrée des personnes migrantes aujourd’hui, mais pays incapables d’assurer des conditions dignes et réglementaires. En attente de transfert, les “dublinés”sont alors assignés à résidence, ou même parfois placés en centre de rétention. C’est le sort réservés aux 21 migrants accueillis à Bayonne et récemment assignés à Pau.
Empathie
Les personnes présentes ce 21 décembre en gare de Bayonne ne sont pas prêtes d’oublier les moments vécus. Non plus des images certes poignantes mais lointaines, répétitives des drames dont les migrant-e-s sont victimes : enfants morts sur une plage, naufragé-e-s à la dérive, esclaves en Libye, jungle ou campements sauvages au coeur des villes… Non plus des concepts menaçants comme “vagues” migratoires ou les “flux” et “stock” obscènes de la langue de bois technocratique. Mais des individus en chair et en os ayant connu avant leur trentième année toutes les misères et couru tous les dangers que personne ne peut plus ignorer. Ayant quitté la clandestinité et les trottoirs parisiens pour un espoir de régularisation vite explosé par le tampon “dubliné”. S’il est vrai que l’empathie diminue avec la distance, elle était pour le coup à son maximum pour ceux et celles qui les avaient accompagnés comme pour les autres, et avec elle, colère et révolte.
Externalisation
L’Union européenne cherche à délocaliser les contrôles dans les pays de départ et de transit et à sous-traiter à ces États la “gestion” des migrations. C’est ce qu’on appelle l’externalisation des politiques migratoires européennes. En direction de l’Afrique, l’UE propose des contreparties aux pays tiers, conditionnées à leur collaboration dans la limitation des départs vers l’Europe et le retour forcé de leurs ressortissants. Progressivement, elle a étendu cette conditionnalité à l’ensemble des domaines de coopération (économique, commercial, politique ou militaire), y compris l’aide au développement. Il est ainsi devenu impossible pour ces pays de collaborer avec l’UE dans quelques domaines que ce soit sans aborder la question des migrations. Pour la Cimade, cette politique à l’oeuvre depuis le début des années 2000, a surtout provoqué des changements continuels des routes empruntées par les personnes migrantes. Là où une voie se ferme, une autre s’ouvre, souvent plus dangereuse. Elle n’a produit à ce jour aucun effet sur les arrivées en Europe qui n’ont nullement baissé (sauf de manière très temporaire et localisée). Dans le même temps, la politique dite de relocalisation n’a pas du tout été appliquée. Alors que les pays de l’UE s’étaient engagés à accueillir 160.000 réfugiée- s, seulement 46.000 l’ont été. La France elle en a accueilli 4.000 sur les 30.000 qu’elle s’était engagée à accueillir.
Rétention
Véritable chasse aux migrants dans la région de Calais depuis le démantèlement de la jungle, blocage de la frontière franco-italienne entraînant prises de risques et trafics accrus, 38% seulement de réponses positives aux demandes d’asile. Les dirigeants français se succèdent mais continuent à traiter la question des migrations comme une menace sécuritaire. Le gouvernement prépare un projet de loi qui s’inscrit dans le cadre des politiques européennes : fermeture des frontières, externalisation des contrôles et renvois accrus. Il vise à doubler la durée de la rétention pour les étrangers en attente d’expulsion (45 jours aujourd’hui). Le texte prévoit de la fermeté sur la rétention des “dublinés”. La procédure est longue, complexe, et peu appliquée : seuls 10% étaient effectivement transférés l’an dernier. Pour augmenter les taux, les “dublinés” pourraient être placés en rétention dès que la demande a été déposée auprès de l’Etat où ils ont été enregistrés. Jusqu’à présent, il fallait attendre que l’arrêté de transfert ait été pris mais beaucoup d’États censés accueillir des réfugiés expulsés d’autres pays renâclent à émettre les “laissez-passer consulaires” nécessaires, ce qui freine les reconduites.
Au milieu des eaux glacées du calcul égoïste
dans lesquelles l’homo oeconomicus
est censé s’épanouir,
un archipel des solidarités se construit
autour de l’accueil des migrant-e-s.
Malgré la criminalisation,
les procès pour transport ou aide au séjour irrégulier.
Solidarité
Au milieu des eaux glacées du calcul égoïste dans lesquelles l’homo oeconomicus est censé s’épanouir, un archipel des solidarités se construit autour de l’accueil des migrant-e-s. Malgré la criminalisation, les procès pour transport ou aide au séjour irrégulier. Au Pays Basque, la Cimade a de longue date mené un travail de soutien, d’informations et de mobilisation. Depuis 2015 le collectif Etorkinekin s’est constitué et a essaimé dans plusieurs communes. L’arrivée de groupes de migrants à Baigorri, puis récemment à Bayonne, a entraîné une mobilisation d’énergies pour accueillir dignement les personnes, les aider dans leur démarches et plus largement conscientiser la population et combattre la politique migratoire du gouvernement. Comme bien d’autres, un combat stratégique et désormais permanent.