La journée du désarmement du 8 avril constitue sans nul doute un évènement historique qui marquera les annales de l’histoire du Pays Basque. Elle a d’ailleurs été saluée en tant que telle par la presse internationale, allant jusqu’à faire l’objet d’un éditorial du New York Times le 14 avril. Retour sur la pluralité de la mobilisation qui a permis le succès du processus de désarmement.
Prenons d’abord la mesure de ce qui s’est joué le 8 avril en nous remémorant qu’en juillet 2015 la police française intervenait à Ortzaize chez Graxi Etxebehere, Jef Mateo et Terexa Lekunberri en arrêtant Iñaki Reta et Xabier Goienetxea, deux militants présentés comme étant en charge, au sein d’ETA, de la mise sous scellés de son armement. Quelques semaines plus tard, en septembre, étaient arrêtés à Baigorri deux autres dirigeants d’ETA, David Pla et Iratxe Sorzabal.
Cela paraît impensable, mais la réalité des faits s’impose pourtant à nous : depuis l’annonce de la fin de la lutte armée, loin de le favoriser, les Etats français et espagnol ont tout fait pour empêcher un désarmement d’ETA en bonne et due forme, c’est-à-dire un désarmement accordé, ordonné et vérifié. Notons que dans un contexte autre que celui d’Euskal Herria, et dans le cas d’une organisation autre qu’ETA, cette attitude irresponsable aurait, selon toute probabilité, fait déraper l’ensemble du processus de paix.
Pluralité et puissance de la mobilisation
Quoi qu’il en soit, dans cette chronologie du désarmement, l’initiative de Luhusoa a représenté un point de bascule. Personnellement, tout en saluant l’initiative, je restais un tantinet sceptique (une once de doute liée à un vieil atavisme cartésien…) quant à la possibilité réelle de réaliser un désarmement par la seule voie de la société civile. Et pourtant, les “artisans de la paix” l’ont réussi ce samedi 8 avril. Le désarmement a été ordonné, et les photos des “artisans” volontaires regroupés autour des “zulo” sont sûrement celles qui immortalisent le mieux cette journée dans son originalité. Il a été vérifié par des experts internationaux et béni par d’éminents ecclésiastiques qui ont fait grincer des dents dans l’épiscopat espagnol. Enfin, il n’a pas été accordé, mais il est patent que les autorités françaises ont laissé faire les choses.
Un changement de posture radical qui atteste de l’impact de l’initiative de Luhusoa. Un revirement d’attitude des autorités françaises visiblement difficile à digérer pour les Espagnols. On s’en convainc en parcourant la presse espagnole du 9 avril. D’El Pais jusqu’à la Razon, en passant par El Mundo, la sensation qui en émane est celle d’une grande frustration, qui exprime implicitement le sentiment des autorités espagnoles d’avoir subi le 8 avril une défaite politique, alors qu’elles considèrent avoir gagné la bataille militaire contre ETA.
Le 8 avril a pu être possible grâce à la pluralité et à la puissance de la mobilisation de la société civile en Iparralde. Il faut dire aussi, qu’il a bénéficié d’un soutien déterminant des institutions de l’ensemble d’Euskal Herria : les parlements de Gasteiz et de Navarre, et le “Lehendakari” d’Iparralde, Jean-Réné Etchegaray. Quant à Iñigo Urkullu, plutôt que de participer au protocole de la mairie de Bayonne aux côtés de Jean-René Etchegaray et des médiateurs internationaux, il a passé son 8 avril à inaugurer une rame de métro à Bilbo. Alors que, quelques jours auparavant, il appelait toutes les autorités politiques a faire preuve de “hauteur de vue”, on a envie de lui suggérer qu’il convient parfois de maintenir le regard au bon endroit si on ne veut pas rater le train de l’Histoire.
Transcender l’impossible
Et on peut dire qu’il a raté quelque chose de tout à fait original. En effet, selon les experts internationaux qu’on a pu entendre, notamment à l’occasion des forums organisés par Bake Bidea, il semble qu’il n’existe pas d’autre exemple de processus de résolution à travers le monde dans lequel le désarmement ait été mené par la société civile. Ce qui était a priori difficilement concevable a été réalisé en Pays Basque le 8 avril. Le désarmement par la seule voie de la société civile était un pari, et il a été gagné. Mais comme l’ont souligné à la tribune Michel Tubiana et Michel Berhocoirigoin, si le désarmement crée de nouvelles conditions pour la paix, il n’est pas la paix.
Or, le processus de résolution en Pays Basque se caractérise par une autre originalité : son caractère unilatéral. Car jusqu’à présent seule ETA a bougé. Ainsi, il nous reste à relever un défi, encore plus difficile et plus important pour notre Histoire. C’est celui de réussir à mener le processus de résolution jusqu’à son terme, en ayant pour seuls atouts la force de mobilisation de la société basque, l’aide de nos soutiens internationaux. En évoquant ce défi, deux noms s’imposent à moi à brûle-pourpoint. Le premier est celui d’Oier Gomez, dont nous devons impérativement obtenir la libération immédiate. Le second est celui de Felix Likiñano, ce militant anarchiste, combattant anti-franquiste, auquel on doit la sculpture de l’anagrame d’ETA : la hâche et le serpent (le “bietan jarrai : aizkora bezain zorrotza, sugea bezain zuhurra”). Car la devise de Felix Likiñano était : “eziña ekiñez egiña!” (que je traduirais par : c’est en agissant que l’on transforme l’impossible en réalité).