Au-delà de la production alimentaire et du rôle dans l’entretien des surfaces et du paysage, l’agriculture au Pays Basque a une dimension agri-culturelle, voire civilisationnelle articulée autour du nom de la maison : l’Etxe.
En effet, le paysan porte le nom de la maison sur laquelle il travaille ; c’est un élément d’identité qui permet de le situer géographiquement et socialement. D’ailleurs, l’une des premières questions qu’on demande à quelqu’un pour mieux le connaître, c’est de savoir d’où il vient. De quelle province, de quel village, voire de quel quartier pour finir par le nom de la maison.
La référence géographique
Dans un territoire où l’habitat dispersé est majoritaire, et qui permet de valoriser tout l’espace disponible de par sa vocation d’élevage avec les trois quarts des surfaces en herbe, cela permet de situer la personne dans son contexte géographique mais aussi historique, de par l’évocation du nom de la maison. Dans les villages, à l’école, les enfants s’appellent par le nom de la maison et aussi bien sûr par leur prénom. En estive aussi, la référence c’est le nom du cayolar, tant pour les bergers qui y résident tout l’été que pour les paysans qui envoient leurs animaux en transhumance. La référence à l’entité géographique se cultive aussi dans les animations des vallées au Pays Basque intérieur. La Foire de la vallée des Aldudes, celle du secteur d’Hergarai, celle d’Oztibarre, où les paysans et bergers sont à l’origine de ces rassemblements festifs et conviviaux, où les générations se côtoient et participent activement à l’évènement. De même en Soule, autour de la transhumance montante pour les vaches au-dessus d’Aussurucq, pour la fête des bergers à Ahusquy, et pour la transhumance descendante à Licq-Athérey. Dans tous ces évènements, les paysans sont identifiés par le nom de leur maison.
La référence sociale et culturelle
Bergers et paysans forment aussi la catégorie sociale qui véhicule majoritairement la langue basque et participent activement aux évènements culturels tels que les chants, danses, libertimendu, mascarades, pastorales et dont certains en sont même les auteurs.
Le paysan porte le nom de la maison qui est au centre des relations avec le voisinage et les codes sociaux de solidarité qui s’y rattachent. Par exemple, lors d’un décès dans une maison, il incombe au premier voisin de porter assistance au-delà des divergences politiques ou syndicales, et de remplir son rôle. Les valeurs d’entraide et de solidarité sont au coeur de ce qui reste de cette civilisation agropastorale qui a permis de maintenir un nombre important de paysans. D’ailleurs, la pérennité de cette identité culturelle se fait assez naturellement dans le cadre de la transmission familiale et représente un enjeu majeur pour l’intégration des Hors Cadre Familiaux non issus du milieu paysan local.
“La pérennité de cette identité culturelle représente un enjeu majeur pour l’intégration des Hors Cadre Familiaux non issus du milieu paysan local.”
C’est une dimension essentielle à prendre en compte, beaucoup plus que cela n’est fait, et qui mériterait un peu de recherche sur l’antériorité de la ferme afin que le nouvel arrivant s’imprègne de cette réalité qui fait partie, qu’il le veuille ou non, de sa nouvelle identité souvent connue de son voisinage. Au passage, dans les villages, comment ne pas déplorer l’effacement du nom des maisons, remplacé par un vulgaire numéro lors de la mise en place du nouvel adressage organisé par La Poste et les mairies ?
La référence marketing
Pour les producteurs fermiers, la mise en avant du nom de leur ferme semble une évidence pour signaler leur lieu de production et de commercialisation. Cela donne plus de force à l’origine et à la traçabilité du produit quand il y a un cahier des charges qui y est associé. A cet égard, la démarche Idoki des producteurs fermiers est assez exemplaire. Quand cela est organisé de façon collective, cela donne plus de valeur à la démarche en soulignant la complémentarité des productions et la diversité au sein d’une même production. Cependant, il existe des démarches individuelles qui se servent du nom de la ferme comme celui d’une marque commerciale, avec des pratiques qui sont plus artisanales que paysannes.
La logique mercantile s’est aussi emparée de l’identité du Pays Basque en réservant des noms basques dans la politique de marque des entreprises agroalimentaires. Certaines entreprises poussant même le raisonnement jusqu’à considérer que les paysans leur appartiennent, et certains paysans se sentent profondément liés à “leur” entreprise.
Une identité paysanne à préserver et transmettre
L’image attractive du Pays Basque intérieur est dépendante de l’activité paysanne. C’est elle qui fait la force du marketing. Elle est le fruit d’une bonne répartition de l’activité sur l’ensemble du territoire dans une logique paysanne plus qu’industrielle. A ce titre, les paysans mériteraient une meilleure valorisation de leur production qui est en partie spoliée par les entreprises de transformation et la grande distribution.
Plutôt que d’encourager le développement des productions par la concentration des élevages, et la fuite en avant individuelle au service des industriels, on doit diversifier les ateliers pour répondre aux besoins alimentaires locaux en renforçant cette identité qui est la base de l’agriculture paysanne au Pays Basque.
On a effectivement tout intérêt, au-delà des clivages syndicaux, à relever le défi de la transmission de nos fermes en cultivant les valeurs de solidarité, garantes d’un savoir-faire et d’un savoir-vivre. Préserver l’identité paysanne du Pays Basque est un enjeu majeur pour l’avenir, c’est un défi à relever en assurant le maintien, voire en faisant revivre le plus de fermes possible sur notre territoire.