“Lutter contre le dérèglement climatique n’est pas de l’écologie punitive” nous dit Pierre Larrouturou, ingénieur agronome et économiste, co-fondateur du Collectif Roosevelt, qui participera à la Conférence “Comment sauver le climat ? “ dans le cadre d’Alternatiba Socoa ce samedi 4 et dimanche 5 octobre.”Sauver le climat va nous aider à sauver la cohésion sociale. Des millions d’hommes et de femmes sont déjà «punis» par les inondations, les sècheresses, l’augmentation du prix de l’énergie ou l’augmentation du prix des céréales“. “Le système ancien menace ruine. Il est urgent de faire naître une société nouvelle, une société d’équilibre et de convivialité, avant que le monde ancien ne s’écroule. Ce qui me rend optimiste, c’est la convergence humaine et intellectuelle de tous nos réseaux”. Cet optimisme a été partagé et renforcé ce dernier week-end de septembre par la participation de 10 000 personnes en une journée sur Alternatiba Nantes et de 10 000 personnes sur deux journées au FUC Alternatiba Ile de France.
Le discours dominant des responsables politiques “en responsabilité” ou des spécialistes de l’économie est plutôt du genre ” “nos concitoyen-ne-s” sont plus préoccupé-e-s par l’emploi et le pouvoir d’achat” … Pourquoi participez-vous à une conférence sur “Comment sauver le climat” ?
La gravité extrême de la crise sociale ne doit jamais nous faire oublier l’urgence de la question climatique : grandes sècheresses, grandes inondations, typhons,… Le nombre d’évènements climatiques extraordinaires a triplé en 30 ans et, sur tous les continents, la fonte des glaciers est plus rapide que prévue. Les études du GIEC montrent qu’il est urgent d’agir si on veut éviter un basculement irréversible vers un dérèglement aux effets dévastateurs. On n’a pas le choix : il faut en même temps s’attaquer à ces 2 crises. Mais Bonne nouvelle ! Répondre à la crise environnementale va créer des emplois et mieux distribuer le «pouvoir d’achat» : il y aura nettement moins de bénéfices pour Total ou Exxon et nous ferons tous jusqu’à 1.000 euros d’économie sur nos dépenses de chauffage et de transports chaque année si l’on en croit la Commission européenne. Sauver le climat va donc nous aider à sauver la cohésion sociale.
Qu’est-ce qui explique que la crise économique et sociale couvre complètement l’urgence écologique/climatique ?
Le manque de courage des politiques qui prennent les citoyens pour des imbéciles. Ils sont incapables d’expliquer le lien entre les deux crises et incapables de faire 2 minutes d’explication : à nous de montrer que l’écologie n’est pas «punitive». Au contraire ! Des millions d’hommes et de femmes sont déjà «punis» par les inondations, les sècheresses, l’augmentation du prix de l’énergie ou l’augmentation du prix des céréales. Lutter contre le dérèglement climatique n’est pas de l’écologie punitive : ceux qui ont participé à Alternatiba à Bayonne l’an dernier n’avaient pas des têtes de croque-morts masochistes. A nous de faire connaître au plus grand nombre les solutions pour tenir le Facteur 4. A nous aussi d’améliorer nos argumentaires : oui, il faut donner un prix au carbone et mettre en place une fiscalité écologique, mais il faut d’abord, de toute urgence et très massivement, mettre des milliards pour isoler nos domiciles, développer de nouveaux moyens de transports et envoyer un chèque vert à tous les foyers avant de mettre en place l’écotaxe.
Comment expliquer la gravité de la situation climatique à nos concitoyen-ne-s sans tomber dans le fatalisme ou le paralyser avec l’effet de sidération ?
Insister joyeusement sur les solutions qui existent déjà, comme le fait Alternatiba. Montrer leurs avantages (économies sur les dépenses de chauffage, gestion coopérative des énergies renouvelables, renouveau du lien social…) et en même temps débloquer des financements européens à taux “0 ” pour financer les travaux d’isolation et le développement des énergies renouvelables : pour sauver les banques, on a mis 1.000 milliards sur la table à taux 0. Il faut faire la même chose pour sauver le climat.
Ce point est fondamental : il faut en même temps développer les initiatives locales (au Danemark ou en Allemagne, c’est grâce à une multitude d’initiatives citoyennes que le développement des énergies renouvelables a été possible) et débloquer la question du financement des économies d’énergie au niveau européen : si on ne dit pas comment financer l’énorme chantier qui est devant nous ou si on donne l’impression que chacun devra le financer avec ses ressources personnelles, on évitera difficilement le fatalisme dont vous parlez.
Quelle transition nécessaire devra être mise en place entre le modèle économique dominant, et celui qui s’imagine et s’expérimente ici et là? Bref, comment s’y prendre pour faire du “vivre et travailler au pays” souhaité par la majorité… une alternative crédible compte tenu des obstacles “insurmontables” qui démotivent le “citoyen lambda” (la concurrence internationale, la crise, le manque de débouchés, les “habitudes/dépendances” d’achat (travaillées par la publicité) allant vers le toujours moins cher, etc.) ?
«La crise, c’est quand le vieux se meurt et que le neuf est empêché de naître» affirmait Gramsci. Le neuf est empêché de naître par la force des lobbies qui refusent qu’on ait un débat serein sur un nouveau modèle énergétique, un nouveau modèle agricole, un nouveau rapport au travail, un nouveau partage des revenus, un nouveau partage du pouvoir… Il faut s’opposer avec force à ces lobbies et utiliser tous les moyens non-violents possibles pour les mettre face à leurs contradictions et dire au plus grand nombre de citoyens que, quoiqu’en disent Manuel Valls et tous les Thatcheriens qui l’entourent, il existe une alternative crédible. Pour être exact, seule l’alternative que portent nos réseaux est vraiment crédible.
Le système ancien menace ruine. Il est urgent de faire naître une société nouvelle, une société d’équilibre et de convivialité, avant que le monde ancien ne s’écroule. Ce qui me rend optimiste, c’est la convergence humaine et intellectuelle de tous nos réseaux. Et c’est aussi la cohabitation qui existe de fait dans le monde réel, entre le système majoritaire et des expériences innovantes assez nombreuses et assez solides pour que nous soyons certains qu’il est possible de les généraliser : il existe déjà des centaines d’entreprises passées à la semaine de 4 jours, il existe déjà des milliers de paysans qui ont choisi de produire autrement afin de protéger la terre, l’eau, l’atmosphère et de protéger notre santé (et leurs exploitations sont rentables). Il existe déjà des centaines d’écoles où on lutte très efficacement contre l’échec scolaire. Il existe déjà des médias qui parlent à l’intelligence des citoyens et vivent sans publicité. Il existe déjà des élus qui refusent le cumul des mandats et associent les citoyens à l’exercice du pouvoir. Il existe déjà des pays qui ont engagé une vraie transition écologique…
Si l’on était dans une société vraiment démocratique et si l’on avait donné autant de moyens aux énergies renouvelables qu’on en a donnés au nucléaire, les alternatives prendraient le dessus naturellement. La transition énergétique serait déjà réalisée.
Mais nous sommes dans une société bloquée par des élites incapables de comprendre le monde qui les entoure, incapables d’un dialogue d’égal à égal avec les citoyens et incapables de se libérer de l’emprise des lobbies. Voilà pourquoi il faut provoquer une vraie révolution démocratique en même temps que nous nous battons pour un nouveau modèle de développement social et environnemental.
En quoi un évènement comme Alternatiba (le village de transition vers le monde de demain, permettant dès aujourd’hui à chacun (individus, communes, associations, etc.) de lutter concrètement contre le changement climatique et de faire face à la crise énergétique) vous semble important ?
L’an dernier Alternatiba fut un moment assez génial : convivialité, intelligence, dialogue, expériences concrètes de terrain et débat sur ce qu’il faut changer au niveau «macro». Ce fut humainement et intellectuellement une grande réussite. Combattre le dérèglement climatique est une tâche titanesque et chacun de nous peut se sentit impuissant et tomber dans la déprime s’il reste tout seul chez lui. Mais quand on se retrouve pour échanger, on en sort requinqué, avec plein d’idées et d’énergie pour faire bouger les choses autour de nous. A part Obélix qui est tombé dedans quand il était petit, on a tous besoin de temps en temps de reprendre un peu de potion magique pour repartir au combat. C’est l’intérêt d’Alternatiba : un produit dopant mais bio à 100 %.