Anne-Marie LAGARDE
En découvrant dans Enbata de décembre 2020 l’article d’E.Duny-Petré sur le livre de Lauburu « Etxea, la maison et l’habitat au Pays Basque » dont un des grands mérites, dit-il avec une allégresse touchante, est « de faire litière de plusieurs tartes à la crème » de notre historiographie, soit l’égalitarisme et le matriarcat, je constate que la ridiculisation des travaux sur le sujet se poursuit en Iparralde…
Certes, par ailleurs, j’apprécie beaucoup les articles d’E. Duny-Petré dans Enbata (tout comme les autres articles), mais là, ça devient indigeste comme du canigou. Car le loup patriarcal semble sortir du bois une n-ième fois, et dans le livre (que je n’ai pas lu), et à la queue leu leu (conformément à l’étymologie) sous son béret, dans la revue. Je vais donc profiter de la circonstance pour mettre les choses au point, puisque je suis la seule qui ai œuvré à la fabrication de la « tarte à la crème » en question en Pays Basque Nord.
Avant de relater cette aventure pâtissière je voudrais la resituer dans un cadre plus général et évoquer un ouvrage très important traduit en français en 2019 sous le titre « Les sociétés matriarcales dans le monde. Recherches sur les cultures autochtones ». L’auteur en est la philosophe féministe allemande Heide Goettner-Abendroth. Elle révèle que nombre de chercheurs et chercheuses ayant travaillé sur le thème ont été « blacklisté.e.s » dans les universités de divers pays. L’omertà a frappé leurs travaux.
Ce fut mon cas. Celui d’Isaure Gratacos aussi, 13 ans avant moi, pour son travail sur le statut des femmes pyrénéennes, enfin celui de chercheuses du Pays Basque Sud, pour des travaux apparentés aux nôtres. Etonnant, non, le comportement de l’Université ? Pas vraiment. L’Alma mater fut fondée par une Eglise très patriarcale… Les restes en sont entiers et le féodalisme y règne. Mais tous les universitaires ne sont pas des curés, même en Pays Basque, me rétorquera-t-on. C’est vrai, et les curés ne sont pas toujours là où on les croit. De plus on trouve des femmes parmi les universitaires ! Oui dame, mais certains « curés » ont toujours eu besoin d’une bonne à leur côté.
Voici les faits en ce qui me concerne :
J’ai soutenu ma thèse en l’an 2000 devant un jury présidé par Jean Haritschelhar. En faisaient partie mes deux directeurs de recherche, Txomin Peillen (devenu professeur émérite un an ou deux ans plus tôt) et Marie-Jean Sauret, professeur de psychologie clinique à Toulouse-le-Mirail, Maité Lafourcade, spécialiste du vieux droit basque, Koxe Azurmendi, professeur de philosophie et Enrike Knörr Borras (décédé depuis), professeur de linguistique, les deux de l’Université du Pays Basque sud. Il est certain que parmi ces gens il y avait quelqu’un qui ne me portait pas dans son coeur. Néanmoins j’ai obtenu une mention très honorable et les félicitations des membres du jury à l’unanimité. Je ne pense pas que ces derniers fussent en état de coma intellectuel avancé lorsqu’ils ont statué.
Très peu de temps après ma soutenance, article haineux d’un historien dans la revue du CNRS « Lapurdum ». J’avais osé relever un point faible dans son argumentation. Après quoi, rassemblement de la meute autour du mâle dominant, toutes les portes se ferment sur mon nez en Iparralde : l’édition, certains médias et cercles culturels et, surtout, surtout, les Etudes Basques dans les lieux où elles sont enseignées. J’avais demandé en effet à être inscrite sur la liste des maîtres de conférence à la section des Etudes Régionales du CNU (Centre National des Universités) : je l’ai été à la deuxième tentative, mais contre l’avis de deux des quatre rapporteur.e.s successifs de ma thèse, en l’occurrence ceux des Etudes Basques. Ils se sont opposés (je devrais y mettre l’orthographe inclusive) sans relâche à cette inscription au point qu’un des membres du jury du CNU m’avait téléphoné pour me faire part de son indignation et me demander ce que ces gens avaient contre moi. Sidérée, j’avais été incapable de lui répondre.
Ce n’est pas qu’aujourd’hui le phénomène de meute se poursuive, bien sûr, encore que… de façon soft, en queue de comète pourrait-on dire … Soutenir qu’une logique matriarcale (entendue comme une croyance en la mère première d’où découle une égalité sociale des sexes) a existé dans des secteurs de la société ancienne basque en défrise certains au plus haut point. Tout se passe comme si on attentait à leur bas-ventre, que ce soit à l’Université ou chez quelques satellites, chasseurs de sorcières d’un genre nouveau derrière la chantilly jésuitique où ils dissimulent leur misogynie. Mais là, je ne parle pas de vous, monsieur Duny-Petré.
Pour en revenir au livre de Lauburu sur « Etxea », Michel Duvert y a participé, mais je lui garde ma confiance entière : il est le seul à m’avoir ouvert les portes du Bulletin du Musée Basque quand toutes les autres étaient cadenassées et je l’en remercie encore.
Madame,
L’expression «tarte à la crème» est excessive et elle vous a choquée, voire blessée. Aussi, je vous prie d’accepter mes excuses pour l’avoir employée afin de qualifier, sans m’en rendre suffisamment compte, un thème auquel vous avez consacré des années de recherche. Je ne connais vos travaux universitaires que… par ce qu’il en est paru dans plusieurs revues et j’admire l’ouvrage d’Isaure Gratacos Fées et gestes, Femmes pyrénéennes, un statut social exceptionnel en Europe. Cependant, en tant que simple lecteur, je ne peux faire abstraction des compte-rendus critiques qu’ils ont suscités dans les revues Lapurdum, Annales et Annales du midi. De façon maladroite et déformée, j’en conviens, j’ai fait allusion à ces débats. Le livre de Lauburu Etxea, la maison et l’habitat au Pays Basque, les évoque de façon assez brève page 67, en indiquant que ces questions ne sont pas tranchées.
Quand deux personnes de grande qualité échangent entre elles, même sur un point de désaccord, c’est forcément émouvant. Merci à tous les deux.