Condamnés pour avoir formé le “commando itinérant d’ETA”, Ion Parot, Unai Parot, Jakes Esnal et Xistor Haramburu ont débuté en ce début avril leur trentième année de réclusion. Un séjour extrême dans la législation française que dénonce Bagoaz en organisant une nouvelle mobilisation pour réclamer la libération rapide des quatre sexagénaires, écroués en France et en Espagne.
Et vous, que faisiez-vous en avril 1990 ? La question, plus qu’un quizz rafraichissant, peut donner la mesure d’un abîme dans lequel plonge cette chronique. Et si le temps s’était arrêté il y a 29 ans ?
C’est exactement ce qui est arrivé à quatre abertzale, bon teint, dont nul ne soupçonnait qu’ils passeraient par la case prison. Et surtout pas qu’ils y croupiraient encore en 2019. Pas même les juges qui les condamnèrent à perpète, en 1997, tant la peine effective, pour l’époque, aurait paru extravagante.
Ion Parot, Unai Parot, Jakes Esnal et Xistor Haramburu, entament ce mois d’avril leur trentième année de détention, rejoignant ainsi le haut du panier à salade, le club forcément très fermé des très longues peines.
La sanction maximale en France est la réclusion criminelle à perpétuité assortie d’une période de sûreté de 30 ans. La perpétuité incompressible, prévue pour les “meurtres avec viol, tortures ou actes de barbarie sur mineur”, propose même une issue dès le seuil de 30 ans d’incarcération. Nous y sommes.
La sanction maximale en France
est la réclusion criminelle à perpétuité
assortie d’une période de sûreté de 30 ans.
La perpétuité incompressible,
prévue pour les “meurtres avec viol, tortures ou actes de barbarie sur mineur”,
propose même une issue dès le seuil de 30 ans d’incarcération.
Mais il faut croire que cette affaire continue d’étonner, comme en son temps le pataquès qu’elle déclencha dans les rangs militants comme dans les colonnes des journaux français et espagnols. “Des étrangers dans l’ETA”, tentait d’analyser le quotidien El Pais. Un “commando royal” et “imparable” ajoutait le Monde. “Une arme secrète”, croyait ABC, “des tueurs fantômes” clamait le Nouvel Observateur. “Si des abertzale d’Iparralde luttent dans le Mouvement de libération nationale, n’est-ce pas la preuve que nous sommes une seule nation ?” résumait l’organisation Euskal Batasuna.
En tout cas, l’Europe se dessinait et pour la première fois, un tribunal français condamnait ses propres ressortissants pour des faits commis en Espagne, leur imputant la responsabilité du “commando itinérant d’ETA”, également baptisé “commando Argala”, le plus opérationnel selon les polices unanimes, avec ses 38 morts et 200 blessés.
Chronique judiciaire
Une histoire qui plonge dans les archives du Pays Basque et s’entête à émerger au présent. Malgré les nombreuses demandes de libérations conditionnelles, l’âge des détenus, la fin d’ETA, l’amorce d’un rapprochement de prisonniers basques, qui les oublie. Il y a, en parallèle de ce temps, la chronique judiciaire française et les peines qui s’alourdissent au fil des années. La France condamne plus longtemps, à mesure que ces basques là purgent leur peine. Les auteurs de crimes terroristes sont par exemple, depuis 2016, soumis au régime de perpétuité réelle. Ironie, à l’époque où l’extradition n’existait pas, ces condamnés étaient passibles d’une peine maximale de 30 ans en Espagne. Mais il y a, plus que la crainte de récidive, le risque d’un “trouble à l’ordre public” que la justice invoque pour garder ces oiseaux-là au frais. En d’autres termes, la pensée au victime, barrière politique aux efforts judiciaires de normalisation des dossiers basques.
Une “injustice” pour le collectif Bagoaz qui organise ce samedi 13 avril une série de neuf rassemblements pour réclamer la remise en liberté des quatre sexagénaires, sous l’intitulé pressant : “pas un jour de plus !”
Ion Parot, condamné à la prison à perpétuité avec une peine de sureté de 15 ans, s’est déjà vu refuser, depuis 2005, cinq demandes de liberté conditionnelle dont la dernière a été il y a seulement un an.
Txistor et Jakes sont en attente d’une audience dans ces procédures dont les délais rallongent aussi et qui prennent désormais deux années.
Unai, quand à lui, arrêté et incarcéré en Espagne, aurait pu être libéré s’il n’avait écopé d’une seconde condamnation à 11 ans de prison, portant sa peine fixe à 41 ans et son horizon à 2031.
“Aujourd’hui, estime Bagoaz, toutes les conditions sont réunies pour leur libération. Nous demandons juste l’application de la loi.”
Banderoles, portraits, semblent du reste nous projeter dans un monde déjà révolu.
“Commando français”
L’histoire du “commando français” débute donc le 2 avril 1990, un lundi, sur une route d’Andalousie.
Le contrôle routier de la Guardia civile n’est peut-être pas si fortuit que les autorités espagnoles le clament alors. La presse mettra par la suite en doute cette version. Une voiture force le barrage, déclenche une fusillade. Le conducteur, seul à bord, est arrêté, placé au secret durant cinq jours et cinq nuits. Il détaillera peu de temps après les tortures qui lui ont été infligées. 300 kilos d’explosifs sont découverts dans le véhicule. La police annonce l’arrestation d’un membre de l’ETA.
Le lendemain, les habitants du Pays Basque, stupéfaits, découvrent qu’il s’agit d’Unai Parot, un bayonnais de 32 ans, connu du monde abertzale et qui fut chroniqueur, un temps, d’Enbata.
La police judiciaire française procède à la perquisition de son domicile et interpelle sa compagne.
Le mercredi 4 avril, le bayonnais Frédéric “Xistor” Haramboure est arrêté en compagnie du luzien Jakes Esnal au domicile de ce dernier. Le lendemain, un arsenal est découvert à Urrugne au domicile de Jose Otsoantesana.
12 nouvelles arrestations ont lieu dans la même journée, dont celle de Ion Parot, le frère d’Unai. Le vendredi 6 avril, les auditions se poursuivent, une nouvelle arrestation a lieu et la police française annonce que quatre personnes sont directement impliquées dans des attentats en Espagne et qu’un commando uniquement composé de basques de nationalité française est démantelé.
“Des gens sans histoires, relève Enbata, connus certes pour leurs opinions abertzale mais pour la plupart rangés”. Le samedi 7 avril, sept personnes sont libérées. Neuf autres partent le lendemain pour Paris, dont six seront jugés sept ans plus tard et condamnés à de lourdes peines, suivant les réquisitions du procureur et des parties civiles. La défense dénoncera une déposition du seul témoin, recueillie sous la torture. La presse s’empare largement d’une affaire, qui dépeint plus ou moins sérieusement un “commando français” d’ETA perçu comme difficilement repérable en raison de sa mobilité et des identités qui le composent. Dans la foulée des fantasmes qui entourent cette affaire, certains journalistes annoncent même la fin prochaine de la lutte armée, comme épilogue à ces arrestations. Ion, Unai, Jakes et Xistor attendent toujours.