Se soumettre ou… se soumettre !

Résultats du second tour de l'élection présidentielle 2017 (en pourcentage des inscrits sur les listes électorales.)
Résultats du second tour de l’élection présidentielle 2017 (en pourcentage des inscrits sur les listes électorales.)

Txomin DAVANT

Dans un courriel que j’avais adressé à ENBATA le 15/05/2016, et qui fut publié quelque temps sur son site, j’attirais l’attention sur les risques qu’une minorité de la société impose ses propres intérêts au détriment de la grande majorité, moins bien lotie, de la société, ainsi que sur l’usage de clichés de langage très utilisés qui masquent la réalité de leur contenu, tel que « réformes courageuses », « populisme », « opposition corporatiste archaïque »…

Les tenants des « réformes courageuses » tellement attendues et « nécessaires » sont, comme c’était à prévoir, totalement satisfaits par les résultats de la présidentielle. Pensez donc, un Président élu avec 65% des voix ! Le soir de l’élection, on a pu voir sur un plateau de télé une fringante jeunesse porteuse du « renouveau » : MM. Gérard COLLOMB et François BAYROU ; selon ces deux là, tout est à la portée de leur poulain ; n’a-t-il pas réussi le pari que M. Valéry GISCARD d’ESTAING n’avait pu remporter : rassembler « deux français sur trois » !

Le résultat d’une belle manoeuvre conduite comme à l’exercice : sortir du chapeau un homme « ni de gauche ni de droite », bref « neuf » ; couler par la mise au jour de ses turpitudes, le candidat annoncé vainqueur ; promouvoir pour le second tour une candidature repoussoir habillée de tous les vices réels, certes nombreux, et même supposés. Et cerise sur le gâteau, culpabiliser sans vergogne les électeurs du second tour guère convaincus de la validité des orientations politiques du poulain. Bref, ils voulaient rien moins qu’un plébiscite ! Que n’avaient-ils dit lorsque le Grand Charles se livrait à ce genre d’exercice !

Le but de la manoeuvre ? Mettre fin à l’antagonisme de façade des deux partis de gouvernement, l’UNR/LR et le P« S » ; ces deux partis –ou plutôt ces deux « écuries » aux pratiques parfois dignes d’organisations mafieuses- poursuivent la même politique libérale et européenne, mais ils sont obligés de simuler l’opposition de l’un à l’autre pour accréditer la fiction de l’alternance démocratique ; en conséquence ils ne peuvent « rassembler » pour effectuer les « réformes courageuses » salvatrices. L’opération « En Marche ! » devait dénouer ce noeud gordien pour disperser dans un premier temps les membres des deux « écuries » faussement antagonistes et les regrouper, dans un deuxième temps, comme on le voit à présent. Il semblerait qu’elle y parvienne en ouvrant un semblant de portail, évidemment « nouveau », où se jouera une sélection de tous les opportunistes anciens et nouveaux.

Certes, avec 65% des votants, le candidat d’« En Marche ! » dispose de la légalité pour engager ses « réformes courageuses ». La question se pose de savoir si pour autant il en a la légitimité. Question sacrilège ? L’était-elle moins lorsque les électeurs du référendum de 2005 ont été bafoués ?

Au premier tour le candidat d’« En Marche ! » n’a recueilli sur son nom qu’un peu plus de 18% des inscrits1 ; si l’on considère les candidats alignés sur la même politique néo-libérale européiste (Fillon, Hamon, Macron), le score n’atteint que 38% des inscrits…

Au second tour son score n’est que de 44% des inscrits. Ça ne fait pas une majorité sociologique. De plus la ligne politique qu’il y défend, en tout point identique à celle défendue par J. CHIRAC en 2002, perd une partie considérable des soutiens, face au même épouvantail. Face au FN, J. CHIRAC avait recueilli 62% des suffrages des inscrits, soit la majorité sociologique, alors que le candidat d’« En Marche ! » n’a pu en obtenir que 44% !

La majorité du corps électoral n’a pas jugé opportun d’apporter ses suffrages2 au candidat élu. Malgré le battage médiatique invraisemblable et les menaces d’anathème proférées à l’encontre des récalcitrants.

(…)

Tout changer, pour ne rien changer

Ainsi, avec une fraction minime d’électeurs, inférieure au cinquième du corps électoral, il est possible d’arriver à imposer des lois contraires aux intérêts légitimes de la grande majorité. On avait oublié que les institutions de la Vème République sont dangereuses.

F. Mitterrand l’avait très bien expliqué lorsque le Grand Charles les avait instituées. Mais à sa propre arrivée à la Présidence, il n’a plus émis d’objection, ses amis « socialistes » non plus.

Et tout d’un coup, voici quelques mois, « En Marche ! » et les « socialistes » sonnent le tocsin : la démocratie et la république sont en danger ! Les pouvoirs que donneraient les institutions à un(e) président(e) FN nous mettraient en péril !

Les rédacteurs de la constitution auraient donc été irresponsables au point de donner à une seule personne le pouvoir absolu ? Sans contre-pouvoir ? Ils n’avaient pas lu L’esprit des lois ? Il serait donc urgent de corriger ce danger béant ? Et puis apparemment non. Le nouvel élu a dit qu’il n’y a rien à retoucher. Il se veut même jupitérien ? Où se trouve la vérité ?

« Les réformes courageuses » seront votées en toute bonne conscience, sinon en toute tranquillité, en rassemblant « deux français sur trois », avec des dirigeants « neufs » marqués au sceau de la « probité » et de la « transparence »…

La question est : Sur quelle voie notre « nouvelle » classe dirigeante va-t-elle engager ses « réformes courageuses » ? Cette problématique est abordée dans Alternatives économiques – Juin 2017 – Nº 369, à l’article de Guillaume Duval – Diagnostic : Pourquoi la France manque-t-elle d’emplois ?

(…)

Et au bout, la tentation autoristariste ?

Avec le Grand Charles on avait droit à R. Peyrefitte qui orchestrait sur l’unique chaîne de télé les cantiques à la gloire de son chef. Mais la grande presse écrite était souvent critique.

À présent, des « R. Peyrefitte », il en surgit de partout psalmodiant le génie du nouveau Jupiter, on n’entend, on ne voit que ça… Et la grande presse écrite a renoncé à tout sens critique. N’y aurait-il pas, derrière ce battage médiatique omniprésent le germe d’une tentation autoritariste ? Est-il sage d’étayer ce penchant par l’envoi d’une majorité absolue, un bataillon de « godillots » à la botte du Président ? Peut-on admettre qu’une triste chambre d’enregistrement, une assemblée croupion, est la « Représentation nationale » ? Confier à un individu unique, entouré de ses seuls sectateurs, les pouvoirs exécutif et législatif, c’est donner à cet homme le pouvoir absolu. Quels débats peut-on attendre d’un tel conglomérat monobloc et minoritaire dans la société, sinon des diktats ? Il semblerait que l’on nous y mène…

Comme d’habitude, les couches populaires vont subir, au nom de la modernité, les conséquences des politiques régressives de nos dirigeants. Qui seront les mêmes que hier, ils imposeront une politique « libérée » plus contraignante et plus restrictive au détriment des moins favorisés. Ils ont offert un beau spectacle électoral pour tout « rénover ».

Comme à l’accoutumé « il faut que tout change pour que rien ne change ».

Ceux pour qui la vie était difficile doivent se mettre dans la tête qu’elle le sera encore davantage. Ils ont le choix entre se soumettre ou… se soumettre. En toute liberté ? Démocratique ?

(…)

1 à noter qu’environ 9% des français en âge de voter ne sont pas inscrits sur les listes électorales.

2 selon HARRIS INTERACTIVE, 17,9% des inscrits ont voté Macron par « adhésion », alors que 25,7% des inscrits l’ont fait « sans adhésion ».

3 avec l’Euro, monnaie unique, la solution par la dévaluation monétaire n’est plus possible ; seuls les salaires sont dévaluables.

4 S’il est vrai que ce sont les entreprises qui réalisent les embauches, il ne faut pas oublier qu’elles le font en fonction des commandes. Celles-ci dépendent en dernier ressort de l’orientation macro-économique. L’Allemagne, avec les mesures régressives Schoeder, a creusé les écarts entre salariés couverts par les conventions collectives (le secteur manufacturier, la force d’exportation) et les autres, non protégés en l’absence d’une législation du travail conséquente ; les salaires de l’industrie sont plus élevés en Allemagne qu’en France ; ceux des services sont à la ramasse, directement concurrencés par la Tchéquie, la Slovaquie, la Pologne… Les carnets de commande allemands sont remplis par les exportations, tandis qu’en France le principal débouché est la demande intérieure. Si celle-ci flanche, les carnets de commande se dégonflent… 5 C’est là que l’on mesure l’arrogance de nos « élites » ; serge TCHURUK, par exemple, prétendait lors de la privatisation de la Compagnie Générale d’Électricité, je crois (c’était devenu ALKATEL), que l’avenir industriel de la France c’était de ne plus avoir d’usines mais seulement des cerveaux ; les usines ont été délocalisées en Chine. Aujourd’hui il n’y a plus d’ALKATEL. Disparu ! Thomson, même coup de génie, même résultat. Disparu ! Etc… Ces lourdauds pas malins d’Allemands ont maintenu leurs usines, investi plus que jamais dans la recherche, constitué des filiales en Tchéquie, Slovaquie, Pologne… Ils ont profité de leur bon niveau de formation hérité du communisme, et des bas salaires (du même héritage) pour fabriquer leurs composants, mais ils ont gardé l’assemblage chez eux… Ils ont une excuse, en Allemagne, ils ne bénéficient pas de l’ENA.

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