Ça y est, l’année 2011 touche à sa fin et chacun s’apprête à entrer dans le tourbillon congé payo-commercialo-gastronomico-éthylico-religieux de Noël et du Nouvel-An. Bien sûr, Enbata étant une revue politique et non un catalogue promotionnel de grande surface, il ne m’incombe guère de consacrer cette chronique à des idées de cadeaux, mais à parler des affaires de la Cité.
ETA: «voilà, c’est fini»…
Or en l’occurrence, il me semble que le cadeau 2011 fut, sur le plan politique. J’ai même tendance à penser que l’histoire du Pays Basque retiendra ce millésime accompagné d’un avant et d’un après. Le 20 octobre dernier, ETA annonce «l’arrêt définitif de son activité armée». Après plus de cinquante ans d’existence, l’organisation clandestine franchit un chemin supplémentaire —et probablement irréversible— vers sa disparition.
Cette décision ne survient pas maintenant par hasard. Il s’agit de l’aboutissement d’un processus engagé presque insensiblement depuis près de vingt ans, qui a vu la gauche abertzale inverser ses logiques de fonctionnement: à l’origine créé et guidé par une direction militaire, le mouvement politique, pourtant frappé d’illégalité dans l’État espagnol depuis le tout début des années 2000, a fini par s’affirmer face à elle puis à prendre totalement la main. Pour autant, ce qui peut s’apparenter à une «défaite militaire» ne s’accompagne pas moins d’une certaine «victoire politique» —pour reprendre l’expression de l’excellent Jean-Pierre Massias, qui me doit désormais un bon apéro.
En effet, l’annonce d’ETA suit de quelques jours la signature à Saint-Sébastien de la déclaration d’Aiete, lui réclamant ce pas en avant vers la sortie mais invitant également les États espagnol et français à s’engager dans un processus de résolution du conflit, dont est reconnue la nature politique, ce qui est une nouveauté majeure. Cette annonce s’accompagne aussi de deux succès électoraux consécutifs qui imposent la gauche abertzale comme la deuxième force politique au Pays Basque Sud, après un déclin quasi ininterrompu depuis la fin des années 1980.
… mais c’est là que tout commence
Cette rentrée politique est donc peut-être appelée à rester marquée d’une pierre blanche dans l’histoire contemporaine de l’Europe, comme celle ayant vu la fin de son dernier conflit géopolitique, dans son expression armée du moins, à défaut de l’avoir encore résolu dans son fondement politique. À cet égard, et pour paraphraser Churchill car ça fait toujours «classe» dans les chroniques, «ce n’est pas la fin, ni le début de la fin, peut-être est-ce la fin du début». Car tels restent les chantiers à mettre en place, qui demanderont du temps et une bonne volonté partagée: celui de la «démilitarisation» du problème, celui de la recherche d’une solution démocratique à ce dernier, celui de la construction de la paix et du vivre-ensemble au sein d’une société déchirée par plusieurs décennies de souffrances et de rancunes…
Des chantiers très compliqués, car la paix et la réconciliation ne se décrètent pas. Mais comment penser que ce qui fut possible en Afrique du sud après les horreurs de l’apartheid ne pourrait l’être au Pays Basque? Dans ce chemin qui s’annonce long et sur lequel les obstacles ne manqueront pas, la première chose est de marcher du même pas. Certes, les appels à l’unité sont aussi nombreux dans notre histoire que les exhortations à la résistance, à la mobilisation, à la fin de ceci ou au respect de cela. Je n’aime guère les sermons sur la montagne mais mon sentiment après l’AG d’AB me porte à faire le vœu suivant pour 2012.
Sophrologie politique
Aujourd’hui, on s’engage dans la voie vers la réunification du mouvement abertzale après 10 ans de fracture. Certain(e)s parmi nous ont des doutes, dans toutes les tendances; et c’est normal! Si cela peut en rassurer, je fais ici mon coming out. Pendant 10 ans, j’ai pris des coups et j’en ai donné. En le disant, je fais mon autocritique sur la forme, parfois maladroite, mais en aucune manière sur le principe car s’il fallait le refaire je le referais. Si le débat est le plus souvent —et heureusement— resté celui des idées, il a pu générer des blessures. Celles que j’ai infligées ou reçues sont toujours là, parfois vives. Et de fait, j’avoue devoir faire un travail sur moi-même pour dépasser mes craintes, mes méfiances, mes rancunes. Je suis sûr que les militants de Batasuna que je rencontre en font de même à mon endroit et je les remercie de parvenir à si bien cacher les rictus de leurs efforts.
Cette séance de sophrologie politique sera encore longue mais l’unité est à ce prix, et je suis convaincu du fait que cette unité est nécessaire si l’on veut vraiment faire avancer l’abertzalisme. Bien sûr, unité ne signifiera jamais unanimité. Comment penser que quand deux conducteurs sont capables de se fritter sur une question de priorité à droite, des dizaines de milliers de militants abertzale seront spontanément d’accord sur la nature ou les rythmes du processus de libération nationale et sociale de leur pays? Aujourd’hui que les principales pommes de discorde ont disparu, il est temps d’aller de l’avant et de savoir saisir les opportunités de l’heure. À ce titre, si 2011 est un tournant, j’espère que 2012 sera une avenue.