C’était il y a 50 ans, le 1er décembre 1961. Pour la première fois, «l’étoile du matin», l’emblème des indépendantistes papous était hissé en place du drapeau de la puissance coloniale hollandaise. Un demi-siècle plus tard, si le joug a changé pour devenir indonésien, les perspectives d’émancipation semblent s’être bien éloignées. Victimes de la guerre froide puis de la cupidité de l’industrie minière, les populations pa-poues sont plus que jamais plongées dans la misère. Mais la lutte contre cette misère revêt un caractère universel qui trouve un écho inattendu chez d’autres damnés de la terre. Un espoir (très) tenu se lève donc, après un demi-siècle de souffrances volontairement oubliées par le reste du monde.
Lorsque la Hollande concéda l’indépendance à l’Indonésie en 1949, elle conserva toutefois la Papouasie occidentale (ou Irian Jaya, formée par l’ouest de l’île de Nouvelle-Guinée) au prétexte qu’elle était ethniquement différente. Alors qu’un consensus s’était formé pour dire que la Papouasie occidentale devait accéder à l’indépendance, les Etats-Unis convainquirent la Hollande de la céder à l’Indonésie pour éviter que cette dernière, gouvernée par le tiers-mondiste Soekarno, ne glisse vers le bloc soviétique. L’Indonésie prit ainsi possession de l’Irian Jaya en 1962, avec l’engagement d’organiser une consultation d’autodétermination. Cette dernière, baptisée «Acte de libre choix», eu lieu en 1969 sous une forme assez originale: le gouvernement choisit 1026 délégués (sur une population de 800.000 personnes) et les somma de voter à main levée sous le regard de l’armée. C’est ainsi que le rattachement à l’Indonésie fut approuvé à l’unanimité.
Répression et pauvreté
Contrairement à l’assemblée générale de l’ONU qui entérina sans broncher ce «vote», les Papous n’acceptèrent pas cette annexion et se rebellèrent sous la houlette notamment du Mouvement pour une Papouasie Libre (OPM). La répression fut terrible: 150.000 personnes ont été officiellement tuées entre 1963 et 1983, et des populations entières déplacées. Bien que le conflit ait perdu en intensité, les accrochages meurtriers perdurent. Le 19 octobre dernier, plusieurs personnes étaient tuées par la police qui souhaitait empêcher une lecture publique de la déclaration d’indépendance de 1961. Un des leaders nationalistes papous, Filep Karma, purge par ailleurs une peine de 15 ans de prison pour avoir brandi «l’étoile du matin». Quant aux déplacements de populations, ils n’ont pas du tout faibli car l’industrie minière n’hésite pas à contraindre des villages entiers à quitter leur terre pour pouvoir en exploiter le sous-sol.
Cette exploitation minière sans scrupule est aujourd’hui un point de cristallisation des luttes sociales et nationalistes. Les Papous subissent en effet l’impact écologique de cette exploitation (impact aggravé par les dévastations dues à la culture intensive de l’huile de palme) sans profiter des richesses qu’elle génère. Alors que la principale compagnie minière, Freeport Indonesia, a versé 13 milliards de dollars au gouvernement indonésien entre 1992 et 2011, la population papoue continue de vivre dans une extrême misère. Le taux de pauvreté y est deux fois plus élevé que dans le reste de l’Indonésie, et le pourcentage de malades du Sida, 51 fois plus élevé, surtout a proximité des mines où l’armée se charge d’organiser la prostitution.
Mouvement social déterminé
L’espoir suscité en 1998 par la chute du dictateur Suharto aura malheureusement été de courte durée. En 2001, une loi sur «l’autonomie spéciale» de la Papouasie avait bien promis la constitution d’une assemblée autonome et l’attribution de 70% des ressources pétrolières et gazières, mais la présidente en poste en 2001, Mme Megawati Sukarnoputri la vida de tout son contenu de peur de s’aliéner les secteurs nationalistes indonésiens. L’ «autonomie spéciale» n’accoucha finalement que d’une division de l’Irian Jaya en deux provinces, ce qui ne fit qu’attiser les tensions au sein d’un pays où le sentiment d’appartenance nationale est très faible (on y compte par exemple plusieurs centaines de langues différentes).
Voyant les perspectives d’amélioration de leur sort s’éloigner, les mineurs papous ont entamé en septembre un mouvement social de grande ampleur contre Freeport Indonesia. A cause de la grève des mineurs, la compagnie minière et, plus indirectement, le gouvernement indonésien, essuient de lourdes pertes financières. Freeport Indonesia leur a d’ailleurs très rapidement proposé une hausse de 25% de leur salaire, directement rejetée par les grévistes qui réclament une augmentation près de 30 fois supérieure. Sans présager de l’issue du conflit, ce mouvement social très déterminé a déjà permis de rappeler au reste du monde la situation des Papous; en effet, la presse internationale s’est largement fait l’écho de ce conflit, en soulignant que des mineurs péruviens employés d’une autre filiale de la même compagnie se sont à leur tour lancés dans une grève massive. Toute la question est désormais de savoir si Djakarta a plus à perdre
à laisser ce mouvement faire tache d’huile ou à
enfin concéder aux Papous des droits dignes de ce nom…