En 1314, Robert the Bruce remportait la bataille de Bannockburn contre les troupes du roi anglais Edward II, offrant ainsi à l’Ecosse une victoire décisive dans la «première guerre d’indépendance». En 1707, les «Actes d’Union» des Parlements d’Angleterre et d’Ecosse entraient en vigueur et le royaume de Grande Bretagne voyait le jour. Trois siècles plus tard, en 2014, les Ecossais auront l’occasion de poser à ce puissant royaume le plus important défi constitutionnel de son histoire en répondant simplement à la question qui leur sera posée par référendum: «Etes-vous d’accord avec le fait que l’Ecosse devrait être un pays indépendant»?
Le chemin parcouru en 15 ans par les Ecossais sur la route de l’indépendance est impressionnant. En 1997, ils acceptaient par referendum le projet de «dévolution» que le tout fraîchement élu Tony Blair leur proposait. En vertu de cet accord, le Parlement d’Ecosse se réunit en 1999, pour la première fois depuis 1707. Deuxième force politique lors des élections autonomes de 1999 et de 2003, le SNP (Scottish Nationalist Party, indépendantiste de centre gauche) arriva en tête en 2007, puis remporta la majorité absolue en mai 2011 sous la houlette de son dirigeant Alex Salmond. Conformément à ses promesses électorales, ce dernier annonçait en octobre qu’il comptait organiser un referendum comportant deux questions: «une question directe sur le oui ou le non à l’indépendance» et une deuxième proposant une plus grande autonomie (une option baptisée «dévolution maximale»).
Dévolution maximale
De manière un peu inattendue, le premier ministre britannique, David Cameron, a choisi de relever le défi lancé par Alex Salmond en déclarant en janvier qu’en l’état actuel des choses un tel referendum ne pouvait être que consultatif mais qu’il était prêt à amender la loi pour qu’il devienne contraignant. Cette concession surprenante se double bien sûr de plusieurs exigences (qualifiées «d’interférences thatchériennes» par le SNP): le referendum doit se tenir dans les 18 mois —et donc avant 2014— et son libellé doit être avalisé par la Commission électorale britannique. David Cameron refuse en particulier que l’option de la «dévolution maximale» soit proposée au vote.
En ce qui concerne la date, l’objectif du premier ministre britannique est de priver le SNP de la publicité que pourraient lui faire les cérémonies du 700ème anniversaire de la bataille de Bannockburn. Mais le point le plus important est la formulation de la question. Les sondages montrent que seul un tiers environ de la population écossaise souhaite l’indépendance totale alors que la «dévolution maximale» est soutenue par plus des deux tiers. En excluant cette option du referendum, David Cameron espère donc infliger un échec électoral au SNP. C’est un pari doublement risqué. Tout d’abord, parce qu’il est loin d’être gagné. Il est tout à fait envisageable en effet qu’une partie des partisans de la «dévolution maximale» se rabatte sur un vote en faveur de l’indépendance s’ils n’ont pas l’opportunité de voter selon leur souhait. Mais même si l’option unioniste l’emporte, le SNP ne se retrouvera pas pour autant en position délicate. Alex Salmond aura en effet beau jeu de dire que Londres a interdit aux Ecossais de voter pour la formule qui semble la plus populaire. Il pourra alors revendiquer cette «dévolution maximale» et présenter son obtention —qui semble inéluctable— comme une victoire politique.
Cessez de subventionner
“la république populaire d’Ecosse”
Si la «dévolution maximale» semble à terme si probable, c’est qu’elle est non seulement populaire en Ecosse, mais aussi en Angleterre où 80% de la population la plébiscite. Ce soutien s’explique par le fait qu’un nombre croissant d’Anglais estime payer pour la politique sociale démocrate du gouvernement écossais: 45% pensent que l’Ecosse touche plus que sa part des dépenses publiques de l’Union (c’est deux fois plus qu’en 2000). Accorder à Edinburgh une totale autonomie fiscale serait donc à leurs yeux un moyen de cesser de subventionner «la république populaire d’Ecosse», pour reprendre les termes d’un député conservateur. Le débat sur l’indépendance réveille parallèlement un vieux serpent de mer de l’Union, la question de «West Lo-thian», qui peut se formuler ainsi: pourquoi les députés écossais (ou gallois, ou irlandais) ont-ils le même droit de vote au parlement de Westminster alors que leurs parlements nationaux ont maintenant de vastes compétences qui échappent complètement au contrôle des députés anglais? Des mesures impopulaires (sur le système de santé par exemple) ont ainsi été adoptées en Angleterre grâce au vote de certains députés écossais, alors même que ces mesures étaient refusées à Edinburgh.
Tous les partis doivent désormais prendre en compte que 79% des Anglais souhaitent que les députés écossais ne puissent pas voter pour des lois anglaises. Alex Salmond l’a en tout cas bien compris qui explique qu’avec l’indépendance «il n’y aura plus de députés écossais pour s’immiscer dans des affaires anglaises au Parlement». Cette perspective terrorise le Parti travailliste qui ne voit pas comment il pourrait l’emporter sans l’appui des dizaines de députés travaillistes écossais. Salmond leur promet qu’une «Ecosse indépendante peut être un phare pour les opinions progressistes au sud de la frontière et au-delà», et que cela serait «une contribution écossaise bien plus positive et pratique que d’envoyer à Westminster un tribut de députés travaillistes». A en juger par l’état actuel des troupes progressistes en Angleterre, il faudra pour cela faire fonctionner le phare écossais à pleine lumière…