Chillida

La réponse de Mikel Dalbret ne me convainc guère. Je répondrai brièvement.
L’épisode anti-républicain de 1949 que Chillida regrettera par la suite, est un péché de
jeunesse que les détracteurs du sculpteur ressassent depuis 60 ans. Unis par une haine recuite contre l’un des leurs qui a mieux réussi qu’eux sur le plan de la notoriété, voilà sans doute le seul dénominateur commun qui rassemble une certaine mouvance d’artistes basques. Avant que Chillida ne soit si connu, ses amis du groupe Gaur l’ont quand même accepté dans leurs rangs. En avril 1966, plus de quinze ans après les faits, il était donc fréquentable aux yeux d’Oteiza, Basterretxea, Zumeta, Sistiaga, Mendiburu,
et Ruiz Balerdi.
Le rappel une fois de plus que Chillida était «le fils d’un lieutenant-colonel de l’armée franquiste» pour instiller que décidément, Chillida n’est pas supportable, qu’il n’est pas
un bon abertzale, un bon Basque comme il faut, tout cela me va droit au cœur. A moi, le fils d’un commissaire de police français qui commença sa carrière en 1946 au sein de la
DST, le contre-espionnage français. Circonstance aggravante, mon parrain était lieutenant colonel de l’armée française (1). Aux yeux de Mikel Dalbret, cela me rendrait donc tout aussi suspect, malgré l’engagement culturel et abertzale de mon père, malgré mes décennies de militantisme abertzale. Ce type d’argument de Mikel Dalbret est aussi détestable que lorsque de bonnes âmes susurrent benoîtement que les parents d’un tel ont trempé dans la collaboration sous Vichy ou qu’une telle a pour père un soldat de la Wehrmacht. Rappeler ainsi à quelqu’un sa filiation, dont évidemment il souffre toute sa vie durant, ne fait que déshonorer l’auteur de ces propos.
Pourquoi Chillida a-t-il quitté Paris: en réalité, l’artiste était très déçu de n’avoir rien vendu lors de sa première exposition à la galerie Maeght, présentée par un texte sublime de Gaston Bachelard (2). Et pourtant, la galerie continua à salarier l’artiste basque, jusqu’au décès de son fondateur. Il est certain que si Chillida était resté à Paris (New-York n’était pas encore la capitale mondiale de l’art), sa percée sur la scène internationale eut été plus rapide.

Prénoms d’enfants
Les huit enfants de Chillida sans prénom basque: cela relève une fois encore de l’attaque personnelle et n’a rien à voir avec l’œuvre, mais répondons quand même. Les huit enfants sont tous nés sous le franquisme, au début des années cinquante. Donner un prénom basque était-il alors possible et légal aux yeux de l’état-civil franquiste? Je laisse à Mikel Dalbret le soin de répondre lui-même. Pour nourrir sa réflexion, il trouvera ci-contre un document fac-simile officiel, sur l’usage des prénoms basques sous le franquisme.
Enfin pour compléter mon courrier précédent, je rappellerai à Mikel Dalbret que le 17 janvier 1975, Chillida co-signa avec plusieurs artistes fort connus —les peintres Joan Miró et Antoni Tapiés, le poète Salvador Espriu— une lettre adressée au chef du gouvernement espagnol pour protester contre les accusations d’attentat à la bombe visant Eva Forest, Alfonso Sastre, Lidia Falcon, etc. Quelques mois pus tard, lorsque le membre d’ETA Juan Paredes Manot, Txiki, fut con-damné à mort par un conseil de guerre et fusillé le 27 septembre 1975 devant l’entrée du cimetière de Barcelone à Serdanyola, une stèle sphérique fut érigée à cet endroit, œuvre… d’Eduardo Chillida. Les municipalités communistes de la cité l’ont depuis laissée à l’abandon, au milieu des broussailles et des ronces.
Cette polémique ouverte par Mikel Dalbret révèle au moins deux choses. D’abord, que «Le monde de l’art n’est pas le monde du pardon». Ensuite que certains abertzale font preuve d’un immense talent pour rejeter dans les bras de l’adversaire espagnol un Basque dont les idées politiques ne leur conviennent pas. Si ces abertzale avaient deux sous d’intelligence politique, ils de-vraient faire exactement l’inverse. C’est en faisant des additions que l’on gagne peu à peu la guerre et non pas en faisant des soustractions ou des divisions. Dans cette partie difficile qui se joue depuis des siècles, David, s’il veut convaincre et vaincre un jour, doit faire toujours l’effort d’être plus habile que Goliath.
N’en déplaise à Mikel Dalbret, je signerai ma réponse avec mon prénom officiel d’état civil
français, dont je suis de plus en plus fier. Non seulement parce que c’est celui de mon aitatxi d’Iholdy et qu’il figure sur des stèles discoïdales, mais parce qu’il ressemble fortement à celui du prisonnier politique le plus célèbre du Pays Basque, connu sous le n° d’écrou 8719600510.
Arnaud Duny-Pétré

(1) Vous trouverez leurs biographies respectives aux adresses suivantes:
http://www.pierredunypetre.over-blog.com
http://colonel.petre.resistance.marseille.over-blog.com
(2) Voir le numéro 90-91 de Derrière le miroir, revue de la galerie Maeght. Chillida n’était pas le seul à ne rien vendre. Le peintre Bram Van Velde ne vendit rien durant trois ou quatre expositions chez Maeght.

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