La principale formation de la gauche abertzale a rendu publique une nouvelle déclaration d’intention, Zutik Euskal Herria. Présentée par ses initiateurs comme une avancée considérable, elle laisse toutefois sceptique nombre d’observateurs. Avec le manifeste Ari gara, un nouveau mouvement indépendantiste auquel participent EA et Batasuna est sur les rails.
ZUTIK Euskal Herria, tel est le nom de cette déclaration diffusée le 16 février par la mouvance de Batasuna, après un débat interne de plusieurs mois. À grand renfort de mise en scène, elle représenterait pour la gauche abertzale un énorme pas en avant dans la résolution négociée du conflit en Pays Basque. Dans ce document assez indigeste de cinq pages qui ressemble à une longue déclaration d’intentions dans le jargon habituel, le passage essentiel serait le suivant: «Le processus démocratique doit se développer en l’absence totale de violence et sans ingérence, le dialogue et la négociation entre les forces politiques se déroulant selon les principes du sénateur Mitchell. Personne ne pourra user de la force ou faire des menaces en l’utilisant pour influencer le cours, le résultat des négociations politiques ou tenter de modifier l’accord réalisé entre les parties».
On lira ci-contre les six principes de George J. Mitchell mis en œuvre dans le processus de paix irlandais. Ces principes élaborés par le diplomate américain ont été le préalable signé par toutes les parties, y compris par les deux gouvernements de Londres et de Dublin, avant les négociations qui ont abouti à l’accord du Vendredi saint. En revanche, dans l’affaire basque, il s’agit d’une proposition unilatérale de la gauche abertzale qui met sur le même plan la violence d’ETA et celle de la répression étatique, elle propose leur arrêt simultané. Un des leaders de Batasuna, Rufi Etxeberria, n’a fait que le confirmer le 21 février dans une interview donnée à Berria. Il est donc demeuré dans la stricte orthodoxie de son mouvement qui est la sienne depuis plusieurs années.
Formule usée
Les très nombreuses arrestations depuis janvier, une tous les deux jours, et leur lot considérable d’armement et d’explosifs saisis, démontrent qu’ETA passe son temps à préparer de nouveaux attentats; et que les gouvernements espagnols et français redoublent d’efforts pour stériliser toute velléité de lutte armée. Donc, dans les faits, rien de très neuf pour l’instant et pas de trêve annoncée par ETA. La formule semble usée et repoussée sine die.
Le but que poursuit Batasuna est d’obtenir des Espagnols la légalisation d’un parti et d’exister à nouveau sur la scène institutionnelle au travers d’une nouvelle formation souverainiste. La question est de savoir quel est le prix qu’il est prêt à payer pour cela, ou plutôt le montant qu’exigera l’Espagne. Le coup de génie du gouvernement espagnol, une fois vidé le nouveau statut catalan de son contenu, est d’être parvenu à instrumentaliser les indépendantistes basques et permettre ainsi aux espagnolistes de conquérir le pouvoir en Navarre et dans la Communauté autonome. Les Espagnols ont donc tout intérêt à ce que la situation actuelle perdure le plus longtemps possible. Ils demanderont un prix extraordinairement élevé en exigeant de Batasuna et d’ETA de passer sous leurs fourches caudines, c’est-à-dire l’abandon définitif des armes sans condition, alors que leur activité politique et militaire est devenue résiduelle. Voilà où mènent des an-nées d’aveuglement et le fait de sous-estimer son adversaire.
La gauche abertzale après sa déclaration du 16 février en est aujourd’hui réduite à quémander un geste du gouvernement espagnol, un «message de sérénité». Situation pathétique et bilan effroyable de «cinquante ans de lutte».
Le tournant de 2011
Au chapitre des hypothèses optimistes ou pessimistes, les commentaires sont légion. Certains voient dans Zutik Euskal Herria une autonomisation des politiques par rapport aux militaires, un discours adressé d’abord à ETA par la tendance en faveur de l’arrêt de la lutte armée. D’autres évoquent un scénario de re-trait progressif ou graduel d’ETA, une condamnation possible du prochain attentat s’il se produit, ou encore de négociations secrètes avec le PSOE via son leader guipuzkoan Jesus Egiguren. Mais ce ne sont que bruits de couloirs et plans sur la comète.
L’avocat sud-africain Brian Currin qui accompagne depuis deux ans Batasuna dans sa démarche, indique le 28 février que la gauche abertzale n’est pas parvenue à convaincre la totalité d’ETA dans sa nouvelle offre de dialogue, synthétisée dans le document Zutik Euskal Herria. Cela demeure la grande question, mais pour l’avocat, les responsables indépendantistes ne peuvent attendre indéfiniment et des évolutions vont apparaître. Le grand tournant se situera aux élections de 2011 avec l’autorisation ou l’interdiction d’une formation émanant de la gauche abertzale liée à ETA.
Ari Gara,
nouveau mouvement indépendantiste
Toujours est-il que Batasuna ne perd pas de temps en lançant le 27 février à Donostia un nouveau mouvement: Ari gara. Il se présente comme un réseau ouvert et pluriel, chargé «d’impulser un scénario démocratique qui rende possible l’indépendance». Ari gara appelle à un Aberri eguna, le 4 avril, à Irun et Hendaye. Figurent parmi ses promoteurs, des personnalités marquantes de Batasuna, en particulier Rufi Etxeberria, Tasio Erkizia, Floren Aioz et de EA, Rafa Larreina ou Sabin Intxaurraga, ainsi que des syndicalistes de LAB. Pour Iparralde, on trouve Battitta Ameztoy et Gabi Mouesca parmi les signataires. Ari gara prétend se situer hors du jeu électoral. Mais personne n’est dupe. Cela ressemble à s’y méprendre, à une nouvelle mouture de feu le pôle souverainiste. Mais aucune personnalité représentative d’Aralar n’en fait partie, aucune ne vient des rangs d’Alternatiba, scission d’EB au lendemain des dernières élections autonomiques.
Avec Ari gara, Batasuna avance ses pions: il testera demain le gouvernement espagnol sommé de donner un signe d’ouverture ou de maintenir le statu quo. Il teste également la société civile et les forces politiques basques, avec le lancement de ce parti indépendantiste qui fait siens la Déclaration universelle des droits de l’homme, le Pacte international des droits civils et politique et les principes démocratiques. Entre le retrait progressif d’ETA et l’émergence de cette nouvelle force, nous saurons demain si la mutation fondamentale de la gauche abertzale est possible. Tout abertzale sérieux ne peut que souhaiter le succès d’une telle recomposition politique, même si elle arrive avec quinze ans de retard.