Reconnaissance du Pays Basque nord : le rôle clé de Batera

Le 30 novembre 2013, à l’appel de la plateforme Batera, 3 500 personnes manifestent bâton à la main à Maule contre le mépris de l’État français. © Kepa Etchandy

Depuis plus de vingt ans, la plateforme citoyenne Batera œuvre pour la reconnaissance institutionnelle du Pays Basque nord. Alors qu’un processus de refondation est annoncé, retour sur une dynamique collective qui a marqué l’histoire politique récente d’Iparralde.

Le combat pour une reconnaissance politique du Pays Basque nord remonte à la Révolution française, qui fit table rase de l’organisation institutionnelle propre à ce territoire. Dès 1790, les députés Garat portaient l’idée d’un département Pays Basque distinct du Béarn. En faisant un saut dans le temps, dès le début des années 60, notamment avec la création du mouvement abertzale Enbata en Iparralde, la demande de reconnaissance institutionnelle va revenir sur le premier plan politique et social.
Si plusieurs revendications cohabitent, celle de la création d’un département Pays Basque intègre les propositions de François Mitterrand en 1981 (promesse enterrée en 1983). À la fin des années 1990, les mobilisations reprennent : en janvier 1999, une manifestation d’Abertzaleen Batasuna (AB) réunit 6 000 personnes à Bayonne, suivie de “l’Appel des 100”. En octobre de la même année, une nouvelle manifestation réunissait 12 000 personnes dans les rues de Baiona. Cette séquence verra également la constitution de l’Association des élus pour un département Pays Basque qui rassemble de manière large et transpartisane.
En parallèle, des outils émergent : Conseil de développement (1994), Conseil des élus (1995), puis la reconnaissance du Pays Basque nord comme « Pays » en 1997. Ces dispositifs, bien que limités, servent de laboratoire à l’élaboration de politiques publiques et à du travail en commun.

Une plateforme pour unir les forces

Après un nouveau refus du ministre Chevènement en mars 2000, l’absence de reconnaissance institutionnelle génère de la frustration. De nombreux acteurs souffrent d’un manque d’objet politique permettant de structurer une vision territoriale. Cinq entités vont alors converger : l’association pour un département Pays Basque, l’association des élu·es pour un département Pays Basque, Euskal Konfederazioa, le syndicat ELB et le collectif universitaire. Le 14 décembre 2002, la plateforme Batera voit le jour.
Sa charte comporte quatre revendications : la co-officialisation de l’euskara, la création d’un département Pays Basque, d’une chambre d’agriculture du Pays Basque, et d’une université de plein exercice. Elle regroupe 110 organisations. Son fonctionnement par consensus et son ouverture permettent l’accumulation de forces, le dépassement d’une lutte sectorielle pour mobiliser plus largement et plus efficacement.

“Le fonctionnement par consensus de la plateforme Batera et son ouverture permettent l’accumulation de forces, le dépassement d’une lutte sectorielle pour mobiliser plus largement et plus efficacement.”

Dès 2003, deux manifestations massives en février et octobre (7 000 puis 8 700 personnes) montrent la puissance du regroupement. En décembre, Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur, se déplace en Pays Basque pendant deux jours. Il réitère le refus de créer un département Pays Basque et confirme qu’une chambre d’agriculture du Pays Basque n’est pas envisageable.
En 2005, le Biltzar consulte les maires du Pays Basque Nord. 131 maires participent à cette consultation : 71 sont favorables au référendum, 43 contre, 11 votent blanc et un nul.
Mais l’année 2005 est surtout marquée par la création d’Euskal Herriko Laborantza Ganbara (EHLG) à l’initiative du syndicat ELB et avec l’appui de la plateforme Batera. L’État français, via le préfet, entame plusieurs procédures judiciaires à l’encontre d’EHLG.

Une campagne de signatures et une consultation

Poursuivant sa mobilisation, Batera lance, en mars 2006, une campagne visant à recueillir les signatures de 10% du corps électoral du département (soit 46 000 signatures) nécessaires au dépôt d’une demande d’organisation d’un référendum local. Des récoltes de signatures auront lieu sur les marchés, événements festifs et culturels, en porte-à-porte… Chaque signature va être vérifiée une à une en y apposant le numéro d’électrice ou d’électeur du signataire. Trois ans plus tard, plus de 36 000 signatures sont enregistrées mais les autorités françaises ont déjà annoncé que dans tous les cas, elles n’organiseraient pas de référendum. En octobre 2009, des élus se rendent à la sous-préfecture de Baiona pour remettre les 32 049 signatures du Pays Basque Nord. L’AG de Batera décide le 11 juillet 2009, d’organiser elle-même une consultation citoyenne à l’occasion des élections régionales de 2010.

La question posée lors de cette consultation citoyenne est décidée le 9 janvier 2010 : « Êtes-vous favorable à la création d’une collectivité territoriale Pays Basque ? ». Le préfet Philippe Rey dénonce une consultation illégale et menace les élus qui la soutiennent de possible révocation. Finalement, la consultation a lieu dans 124 communes grâce à plus de 1 000 bénévoles. Batera met un soin tout particulier à ce que cette consultation soit organisée dans les règles de l’art, avec urnes, bulletins, listes électorales. 34 610 personnes participent au vote (soit 18% du corps électoral), parmi lesquelles 27 072 personnes votent Oui, 6 625 votent Non.

“La consultation citoyenne massive (34 610 personnes participent au vote, soit 18 % du corps électoral) organisée à l’occasion des élections régionales de 2010 permet d’accentuer la pression sur l’État français.”

Cette nouvelle mobilisation massive permet d’accentuer la pression sur l’État français. Batera adopte une feuille de route pour obtenir la création d’une Collectivité territoriale en 2014. La plateforme citoyenne va rédiger un projet de Collectivité et le présente via des forums citoyens organisés en novembre 2011 dans 15 communes.

Le débat s’étend au-delà du cercle militant

On peut positionner à fin 2010 l’arrivée de ces questions au sein du Conseil des élus. Jean-Jacques Lasserre, son président, qui vise un poste de sénateur en 2011, va se faire le relais des élus locaux et, face à la disparition annoncée des “Pays”, amorce une réflexion. En novembre 2011, les universitaires Jean-Pierre Massias et Jean Gourdou, professeurs de droit public à l’Université de Pau et Pays de l’Adour, sont missionnés pour lister les formes juridiques possibles et dynamiser un travail qui recense les compétences qui devraient être exercées au niveau du territoire. L’exercice va embarquer de nombreux élus. Pendant tout ce temps, Batera ne relâche pas la pression. Face au blocage sur la question du référendum, un blocage des routes est organisé le 3 mars 2012.

À Baigorri, des bénévoles tiennent un bureau de vote le 14 mars 2010. 34 610 personnes participent à la consultation citoyenne, dans 124 communes.

L’automne 2012 démarre avec l’organisation par Batera des “États généraux du Pays Basque” le 29 septembre à la CCI. Le 5 octobre, la CCI de Bayonne vote à 86% en faveur d’une collectivité territoriale à statut particulier. Le 11 octobre, la ministre Marylise Lebranchu reçoit une délégation du Pays Basque. Le 24 novembre, le Conseil des élus se positionne en faveur de la création d’une Collectivité territoriale à la quasi unanimité (38 votes favorables sur 41).

Au printemps 2013 est constituée la “Coordination Pays Basque”, qui rassemble Batera, la CCI, le Conseil des élus, le Conseil de développement, le Biltzar. Cette structure va poursuivre le travail de sensibilisation et de relais auprès de l’État. Elle organise notamment une manifestation le 1er juin qui rassemble 6 000 personnes.

“Le 20 novembre 2013, à seulement 10 jours d’une manifestation convoquée par Batera, le premier ministre Jean-Marc Ayrault réitère par courrier le refus d’une Collectivité territoriale à statut particulier, mais mandate le préfet afin de formuler des propositions dans le cadre de la refonte de l’intercommunalité.”

La plateforme Batera fixe une nouvelle date de manifestation à Mauléon où les 3 500 participant·es viennent avec leur bâton pour montrer leur détermination à poursuivre longuement ce chemin. Le 20 novembre 2013, à seulement 10 jours de cette manifestation, le premier ministre Jean-Marc Ayrault réitère par courrier le refus d’une Collectivité territoriale à statut particulier, mais mandate le préfet afin de formuler des propositions dans le cadre de la refonte de l’intercommunalité.

Une porte s’ouvre enfin

C’est ainsi qu’en début d’été 2014, le préfet propose divers scénarios dont la création d’une Communauté d’agglomération Pays Basque (CAPB) par fusion des dix intercommunalités existantes. De longs débats sont menés pour savoir s’il faut accepter ce premier pas ou si la bataille en faveur de la Collectivité mérite d’être poursuivie. Sous l’impulsion du nouveau président du Conseil des élus, Jean-René Etchegaray, les ateliers d’Hasparren lancent une réflexion sur la gouvernance, la fiscalité et les compétences. Dans un contexte d’élargissement des régions, plusieurs acteurs s’engagent sur la voie de la création de la CAPB.

Batera lance une campagne de sensibilisation avec un bus qui traverse les 158 communes du Pays Basque, entre novembre 2015 et avril 2016, pour aller rencontrer les habitant·es et expliquer les enjeux de la création de la CAPB.
Le 13 juillet, le préfet Pierre-André Durand signe l’arrêté de création de la CAPB à compter du 1er janvier 2017.
Batera poursuit ses activités en organisant à partir de septembre 2018 un “Audit citoyen de la gouvernance Pays Basque” qui permet d’établir un diagnostic du fonctionnement de la nouvelle institution et formuler 27 préconisations présentées en 2019.

Vers une refondation

Depuis, la plateforme Batera a cessé ses activités jusqu’à 2024, où des discussions reprennent sur la suite à donner, alors que des débats sur la gouvernance de la CAPB reviennent régulièrement. Il est décidé de lancer un processus de refondation qui débouchera sur une AG le 10 mai prochain. L’acte 1 de Batera a montré tout le potentiel d’une plateforme citoyenne qui rassemble de manière transpartisane et permet de réfléchir collectivement aux outils dont le territoire a besoin. Nul doute que le prochain acte peut être tout aussi bénéfique pour poursuivre le processus d’institutionnalisation du Pays Basque nord.

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