L’assimilation de l’annonce de la trêve d’ETA à un simple processus de «pacification» en Pays Basque pourrait faire augurer d’un «apaisement» de la situation, d’une évolution vers une «normalisation» de la vie politique. Avec, en
particulier, l’interdiction de la manifestation d’Adierazi EH de dimanche dernier à Bilbo, ce n’est pourtant pas l’image laissée par les événements faisant suite au dernier communiqué d’ETA. Pourquoi l’interdiction de la manifestation de Bilbo, considérée même par Inigo Urkullu comme une «provocation»? Pourquoi des déclarations aussi fermées de la part du gouvernement espagnol quant aux possibilités d’un règlement négocié du con-flit? Même si j’estime que le PSOE commet une grave faute politique, je crois que son attitude revêt une certaine logique au regard de la situation actuelle de l’Etat espagnol. Pour beaucoup, cette attitude intransigeante s’expliquerait par la volonté d’obtenir un abandon sans condition des armes par ETA. Peut-être, si ça peut faire plaisir à certains de le penser… Personnellement, je suis convaincu qu’il ne s’agit que de la «partie émergée de l’iceberg» ou, si l’on veut, de «l’arbre qui cache la forêt». La réaction du PSOE tient à une donne politique bien plus majeure; une donne d’ordre structurelle et historique, se résumant dans le fait que, bien au-delà de la lutte armée d’ETA, le vrai problème pour l’Espagne est (et a toujours été) l’irrédentisme du sentiment national basque. La lutte armée n’a jamais été que l’expression la plus contemporaine (ou pour certains le catalyseur) d’une aspiration des Basques à la souveraineté. En un mot: l’Espagne n’a pas un problème avec ETA, elle a un problème avec le Pays Basque. Et il faut dire que la gauche abertzale connaît dans les moindres détails la façon dont cette donne se configure aujourd’hui pour les Espagnols, car c’était l’objet des discussions de Loiola lors du dernier processus de négociation. Ajoutons que les deux débats majeurs suscités par la configuration actuelle de la donne historique précédemment évoquée, sont ceux que les accords de Lizarra-Garazi ont rendus incontournables dans la société bas-que. Ils tournent fondamentalement autour de deux points. Le premier: les statuts d’autonomie mis en œuvre lors de la transition postfranquiste sont obsolètes. Le second: vis-à-vis de la nécessité de tourner une nouvelle page politique permettant également de mettre fin au conflit armé, la société civile basque adhère massivement à l’idée de procédures référendaires donnant corps au droit de décider. Pour les espagnolistes, faire des pas dans le sens de ces points revient à ouvrir la boîte à Pandore. Et c’est pour éviter que les débats ne «dérapent» (comme cela a pu être le cas, selon eux, avec le plan Ibarretxe) et maintenir le statu quo, que les «frères ennemis» du camp es-pagnoliste en sont arrivés à sceller des accords de majorité inconcevables il y a peu en Euskadi et en Navarre. Là où les choses se compliquent, c’est que le débat autour d’un nouveau statut fait également rage en Catalogne. Au lieu d’en terminer avec la réforme du statut d’Autonomie, la décision du tribunal constitutionnel de juillet dernier a élargi la brèche en créant un choc dans la société catalane qui renforce potentiellement les velléités souverainistes. Et on en vient, à ce qui constitue, avec la manif interdite de Bilbo, la seconde photo importante de la semaine dernière: celle des mobilisations organisées à l’occasion de la Diada. Voilà la situation structurelle de l’Espagne aujourd’hui: l’architecture institutionnelle pensée pour gérer les questions nationales bas-ques et catalanes est à revoir. Elle ne garantit plus la stabilité politique et pourrait même être un élément déstabilisant la gouvernabilité de l’Etat central, comme l’illustre le fait que l’adoption du prochain budget Zapatero soit conditionnée aux votes du PNV. Après celle de l’aire postfranquiste, l’heure d’une seconde «transition» a sonné, mais les Espagnols n’ont pas de schéma pour la mener. Et cela, dans le contexte d’une crise économique majeure qui soumet l’Espagne aux diktats des marchés financiers internationaux. La vérité est que le PSOE ne sait pas par quel bout aborder la nécessaire résolution politique du conflit en Pays Basque. Mais au nom d’une stratégie visant à maintenir le statu quo et éviter la mise en forme d’une accumulation des forces souverainistes en Euskal Herria, combien de temps pourra-t-il imposer des mesures d’exception aussi extrêmes que l’interdiction de la manifestation de dimanche dernier à Bilbo? Je suis convaincu que le pari d’un processus souverainiste par des voies politiques et démocratiques est un pari gagnant; mais il est évident aussi, qu’il va renforcer la confrontation politique avec Madrid. La question est de savoir si toutes les sensibilités qui se disent indépendantistes ou souverainistes feront preuve d’assez de détermination pour l’assumer. Plus que jamais, la balle est dans le camp abertzale…
Xabi Larralde