La manifestation en faveur de l’indépendance de la Catalogne du 11 septembre constitue un fait politique majeur. Elle est la conjonction de deux phénomènes. D’un côté, une poussée souverainiste qui a été exacerbée par le refus du Tribunal constitutionnel en juillet 2010 d’avaliser un nouveau statut pour la Catalogne; un nouveau statut en faveur duquel pourtant, une large majorité de Catalans s’étaient prononcée. De l’autre, les conséquences de la crise qui placent le budget de l’autonomie catalane dans une situation de déficit structurel. A défaut d’une autonomie fiscale, les Catalans seront obligés dans l’avenir de quémander systématiquement des aides à l’Etat central, car il leur est impossible d’obtenir des financements au travers du système financier. Les dirigeants de CiU ne recherchent peut-être pas une rupture à court terme avec l’Espagne, mais la revendication d’une autonomie fiscale ne relève nullement de la symbolique. La confrontation politique avec le pouvoir central est bien réelle. Il est par ail-leurs prévisible que les mécanismes configurant la spirale infernale de la dépression de l’économie espagnole vont aller en se renforçant: les mesures de restrictions budgétaires réduisent brutalement la demande et font chuter l’activité économique, elles restreignent en retour les recettes fiscales dans une proportion plus importante que la baisse initiale des dépenses publiques, ce qui creuse les déficits au lieu de les réduire. En parallèle, la montée du chômage et de la précarité augmente le taux des défauts sur le remboursement de crédits immobiliers con-tractés par des ménages surendettés, ce qui gonfle les pertes des banques, qui réduisent en conséquence leur activité de crédit, ce qui aggrave les effets de la dépression… En ce moment, l’Espagne essaie de gagner du temps, mais dans les semaines à venir, à la première statistique économique décevante, les marchés financiers la sanctionneront en faisant monter ses taux d’intérêt; elle sera alors obligée de réclamer un plan de sauvetage qui est déjà prêt. A partir de là, l’Espagne passera sous la tutelle de la troïka (Banque Centrale Européenne (BCE), Commission européenne et FMI). Et on peut penser que cette tutelle sera extrêmement rigoureuse, car la BCE a décidé de briser ce qui représentait pour elle un tabou majeur: elle est prête à recourir à l’achat de dettes souveraines (dont celles de l’Espagne) sur les marchés financiers. Mais en contrepartie, il sera impossible à l’Espagne de déroger aux mesures de rigueur drastiques que la troïka ne manquera pas de lui imposer. Et l’on connaît avec ce qui s’est passé en Grèce l’efficacité réelle de ces mesures: elles vont aggraver la dépression en alimentant les mécanismes évoqués précédemment. La confrontation politique avec la Catalogne va donc gagner en intensité. Il en sera de même avec le Pays Basque. En effet, l’aggravation de la crise va renforcer les velléités de recentralisation de la droite néo-franquiste espagnole. A l’opposé, confrontées à des mesures d’austérité imposées depuis Madrid et totalement inadaptées à leurs économies, les classes populaires et les bourgeoisies affairistes catalane et basque seront de plus en plus enclins à répondre aux injonctions du pouvoir central par un retentissant «goodbye Spain!» clamé à la face d’une communauté internationale ébahie. Plus de quarante ans après la transition post-franquiste, le bilan politique qui émerge aujourd’hui est celui de l’échec d’une architecture institutionnelle de l’Etat espagnol basée sur le principe du «café para todos». L’Etat espagnol est à bout de souffle, alors que le projet indépendantiste par contre, est monté en puissance et a acquis une force et une crédibilité jamais atteintes. On comprendra alors que dans ce contexte, le processus en cours en Euskal Herria qui entérine la fin de la lutte armée ne signifie nullement une forme de reddition de l’indépendantisme basque. Bien au con-traire, ce processus vise à structurer une dynamique souverainiste au potentiel largement majoritaire en Pays Basque. Il s’agit ainsi de mettre en mouvement la société basque, et de confronter l’Etat espagnol à une expression démocratique de cette volonté d’accession d’Euskal Herria à la souveraineté qui soit incontournable. En plaçant de la sorte l’Espagne au bord de la rupture, je pense que l’intensité de la confrontation politique qui se prépare est sans précédent. Gageons qu’elle obligera Madrid à s’asseoir à la table des négociations et à entamer une seconde transition.