La militante de Batasuna Aurore Martin avait fait l’objet d’un mandat d’arrêt international lancé à son encontre par le juge de l’Audiencia nacional Baltasar Garzon, le 14 juil-let 2009. La police française l’arrête un an plus tard, le 19 mai 2010, à Eiheralarre où elle vit. Elle est rapidement relâchée. Un mois plus tard, la Cour d’appel de Pau sursoit à statuer sur le MAE et demande à la justice espagnole des précisions sur les griefs retenus contre Aurore. En novembre de la même an-née, la même cour donne droit à la demande du juge Garzon et ordonne l’exécution du MAE. Un mois plus tard, avec une rapidité dont elle est peu coutumière, la Cour de cassation rejette le recours d’Aurore Martin. Un précédent est ainsi créé: pour la première fois la justice française livre une ressortissante française à la justice
espagnole, alors que les faits reprochés n’ont aucun caractère illégal en France. Un recours est déposé par les avocats d’Aurore auprès de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg. Le 21 décembre, pour ne pas être arrêtée et extradée, Aurore Martin décide de se cacher.
Entre-temps, de nombreux élus de tous bords, des responsables syndicaux ou associatifs, les organisations des droits de l’homme, prennent position contre l’exécution de la décision d’extradition. Le 18 juin 2011, à Biarritz, entourée selon ses propres termes par «un rempart populaire» Aurore sort de la clandestinité et assiste à une réunion publique en présence de Didier Borotra. Le 21 juin 2011, la police française fait une tentative d’arrestation d’Aurore à Bayonne où elle est hébergée. Quelques di-zaines de militants s’interposent et empêchent l’arrestation, dans un épisode rocambolesque resté célèbre dans les annales policières. Les soutiens à Aurore se multiplient. En décembre dernier, à l’occasion d’une manifestation, Aurore Martin décide de sortir de la clandestinité et de reprendre une vie normale.
Depuis lors, elle vivait au grand jour et continuait ses activités politiques avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Après le rejet du recours par la Cour européenne, elle savait que sur le plan judiciaire, la décision de sa remise aux autorités espagnoles était définitive. Elle a été exécutée jeudi dernier.
Contrairement aux affirmations des autorités, notamment du ministre de l’Intérieur, l’arrestation d’Aurore n’a rien de fortuit. Le communiqué de satisfaction de Valls et de son homologue espagnol en témoignent.
Le 10 novembre, aura lieu une grande manifestation organisée par Herrira à Bayonne en faveur de la libération des prisonniers et le retour des réfugiés, des revendications qui «doivent être satisfaites pour démarrer un processus démocratique et avancer dans la résolution du conflit».
Réactions
Les réactions à l’extradition d’Aurore Martin ont été innombrables. Faute de place nous ne pouvons en publier que trios
Parti socialiste du Pays Basque
Nous, élus socialistes et républicains du Pays Basque, avons toujours demandé de ne pas procéder à l’exécution du MAE concernant Aurore Martin.
Consternés à l’annonce de la remise d’Aurore Martin aux autorités espagnoles, nous condamnons la mise à exécution de ce MAE.
Nous rappelons que les faits visés par l’Espagne ne sont pas répréhensibles en France: appartenance à un parti politique légal en France et participation à des manifestations pu-bliques.
Défenseurs du droit à la liberté d’expression, nous demandons le retour immédiat de notre compatriote sur le territoire français.
Sylviane Alaux, députée, Marie-Christine Aragon, conseillère générale, Mathieu Bergé, conseiller régional, Colette Capdevielle, députée, Kotte Ecenarro, 1er vice-président du Conseil général, Frédérique Espagnac, sénatrice, Jean Espilondo, maire d’Anglet, Henri Etcheto, conseiller général, Guy Lafite, maire adjoint de Biarritz et responsable PRG, Bernard Lougarot, sénateur suppléant et maire de Gotein-Libarrenx, François Maïtia, vice-président du Conseil régional, Joël Maïtia, député suppléant, Christophe Martin, vice-président du Conseil général et maire adjoint de Boucau, Guy Mondorge, vice-président du Conseil général et 1er adjoint d’Anglet, Simon Piveteau, député suppléant, Arnaud Villeneuve, conseiller général et maire de Tardets.
Batasuna
Pour Xabi Larralde, porte-parole de Batasuna, “il est difficile de ne pas voir la main de Manuel Valls”. Arrrêter une responsable politique de Batasuna, en plein processus de paix, va à l’encontre de l’esprit de la Conférence internationale de paix et est une “irresponsabilité”, a-t-il dénoncé.
“Ce que Sarkozy et Guéant n’avaient pas fait, Hollande et Valls l’ont fait”, a dénoncé Batasuna, en accusant Valls d’avoir rompu “l’accord tacite” de ne pas appliquer le mandat d’arrêt européen à Aurore Martin.
Bizi
`
Le mouvement Bizi! dénonce avec la plus grande fermeté l’extradition vers l’Espagne et l’incarcération de la militante de Batasuna Aurore Martin.
«Inacceptable pour tout démocrate conséquent, dangereuse pour les libertés publiques et profondément inquiétante pour toute personne sincèrement attachée au processus de paix qui tente de faire son chemin en Pays Basque»: voilà comment le mouvement altermondialiste basque Bizi! qualifie la décision du gouvernement PS d’extrader et de permettre l’incarcération d’une personne poursuivie uniquement pour sa participation aux activités publiques (conférence de presse, articles d’opinion) d’un parti politique pourtant légal en France et risquant 12 ans de prison pour cela en Espagne.
Trois ans d’angoisse
Les autorités espagnoles reprochent trois séries de faits à Aurore Martin. Sa participation à des manifestations pu-bliques de Batasuna, —parti illégalisé en Espagne par le Tribunal Suprême en 2003, mais légal en France—, en 2006 à Pampelune et en 2007 à Salvatierra (Alava) et d’avoir co-signé un article dans le quotidien Gara en qualité de membre de Batasuna.
Le MAE fait également mention de la participation de la jeune femme au Pays Basque français à des manifestations publiques toujours en qualité de membre de Batasuna.
Enfin, le MAE incrimine le fait qu’Aurore Martin ait perçu deux virements provenant d’EHAK (parti communiste des terres bas-ques) —déclaré illégal en février 2008 par le Tribunal suprême espagnol—, en tant qu’employée de cette structure.
Délit d’opinion
Au final, les juridictions françaises ne retiendront pas la participation d’Aurore Martin à des manifestations publiques de Batasuna au Pays Basque Nord au motif que «Batasuna n’ayant pas été déclaré illégal sur le territoire français, la qualification de participation à une organisation terroriste ne peut être retenue et par conséquent faire l’objet d’une remise d’Aurore Martin aux autorités espagnoles». De même, le fait d’avoir reçu un virement provenant d’EHAK sera écarté, les faits reprochés à Aurore Martin par le MAE étant antérieurs à l’illégalisation de ce parti en Espagne, le 8 février 2008.
Malgré cette décision, tous les comptes bancaires d’Aurore Martin ont été bloqués de-puis lors. En revanche et c’est inédit pour la justice française, pour la première série de faits incriminés, à savoir la participation d’Aurore Martin à des réunions publiques de Batasuna à Pampelune et Salvatierra, la Cour d’appel dans son arrêt du 23 novembre 2010 énonce «ces faits commis en totalité sur le territoire espagnol et qui sont poursuivis en raison de l’appartenance d’Aurore Martin au parti Batasuna sous la qualification de participation à une organisation terroriste justifient la remise de celle-ci aux autorités judiciaires espagnoles».
Balayés les arguments de la défense ar-guant que cette série de faits reprochée à la jeune femme n’était ni plus ni moins que l’expression de la liberté d’opinion de la jeune femme.
Précédent liberticide
A l’issue du délibéré de la Cour d’appel de Pau prononçant l’extradition d’Aurore, l’un de ses avocats, Me Jean-François Blanco, n’hésitait pas à qualifier cette condamnation de «précédent liberticide». «La Cour d’appel de Pau, en appliquant le MAE à Aurore Marin, a créé un grave précédent liberticide, estimait-il. Cette décision est très préoccupante car, pour la première fois, l’acceptation de la remise est fondée sur le seul engagement politique en dehors de tout acte répréhensible. Il appartient au gouvernement de renoncer à cette mesure non seulement pour qu’Aurore Martin puisse vivre sans entraves, mais aussi pour la préservation des libertés d’opinion et d’expression. Il s’agit d’une expérience prioritaire».
L’avocat dénonçait également «la décision totalement arbitraire du blocage des comp-tes de la militante». «Le blocage de ses comptes et la confiscation de fait de ses économies sont maintenus sans le moindre fondement juridique. Interrogé en juin le parquet de Paris n’a même pas daigné nous ré-pondre! Il s’agit d’une mesure répressive totalement arbitraire».
Patrick Braouzec, ancien député Gauche Démocrate et Républicaine, résumait cette situation inextricable dans une question écrite déposée à l’Assemblée nationale en avril 2011 à l’attention de Michel Mercier, garde des Sceaux à l’époque: «La Cour d’appel de Pau puis la Cour de cassation ont validé le MAE d’Aurore Martin parce qu’elle s’est exprimée publiquement sur le plan politique. L’Etat français a accepté la demande de l’Etat espagnol alors qu’il s’agit de faits qu’il ne reconnaît pas comme illégaux mais qui relèvent, au regard de la législation françaises, des libertés fondamentales que sont la liberté d’expression, de réunion et d’opinion. Aurore Martin, en étant transférée en Espagne, risque une peine de 12 ans d’emprisonnement et sera présentée devant une juridiction d’exception où il est avéré que la torture est utilisée et particulièrement à l’égard de militants basques».
Depuis décembre dernier, Aurore Martin vi-vait au grand jour et continuait ses activités politiques avec cette épée de Damoclès au-dessus de la tête. Elle savait que sur le plan judiciaire, la décision de sa remise aux autorités espagnoles était définitive. La douce jeune femme ne voulait pas de cette notoriété. Confrontée à une situation impossible, elle était devenue une «héroïne» malgré elle.
«Je m’oblige à ne pas y penser. Je travaille à rassembler toutes les forces citoyennes autour du mouvement pour la résolution du conflit au Pays Basque», lançait-t-elle ré-cemment. «Nous travaillons à ce que chacun prenne conscience que le conflit au Pays Basque est en train de se résoudre, alors même qu’il n’est pas reconnu par les Etats français et espagnol. Nous sommes persuadés que sa résolution passera par la prise de conscience de la société civile» ajoutait-t-elle. Cette prise de conscience collective qui, à un moment donné, s’est levée pour dire «stop» au MAE de la jeune femme mais qui ne l’a pas protégée de l’arbitraire.