L’opposition à la LGV, pour une bonne partie et certainement la partie décisive, est alimentée par la remise en cause du modèle économique du “toujours plus vite”. Elle s’inscrit dans la critique générale du productivisme, processus toujours plus coûteux socialement, économiquement, écologiquement, et nous pouvons rajouter aujourd’hui, énergiquement, climatiquement, etc. etc.
C’est parce que le TGV et la LGV symbolisent ce “toujours plus vite” que la bataille qui oppose les pro et les anti n’est pas une bataille des modernes contre les passeistes… la ligne de démarcation touche la structure du système. C’est un phénomène de grande envergure et le dossier LGV n’est qu’une des déclinaisons…
Le Slow City touche l’Europe
Ce phénomène est alimenté par l’urgence des solutions que nous imposent les défis auxquels nous sommes confrontés, et qui nous mettent le dos au mur. Dans tous les domaines le système est contesté dans sa logique, dans sa dynamique. Ainsi, dans le prolongement du mouvement “Slow food”, le concept “Slow City” est né en 1999 au nord de l’Italie lorsque les habitants d’une petite ville refusent l’installation d’un Mc Do. Aujourd’hui le mouvement Slow City touche l’Europe entière et se structure au niveau international autour d’un manifeste qui aborde 70 questions aussi fondamentales que les consommations énergétiques, les transports en commun, le refus des OGM, ou la démocratie participative. Autre phénomène croissant: la notion de relocalisation de l’économie avec sa petite déclinaison des AMAP, ou la campagne “alimentons les régions” pour ne citer que celles-là, remet en cause cette aberration qui fait qu’un produit alimentaire fait des milliers de kilomètres entre son lieu de production, de conditionnement, et de consommation.
Si je parle de tout cela, c’est pour mieux venir à la question agricole où le mouvement progressiste a pris racine dans “la critique du productivisme” (titre du premier rapport d’orientation du premier syndicat agricole “les Travailleurs Paysans”, créé après l’instauration du pluralisme syndical en agriculture en 1981).
J’ai souvent comparé la question du modèle agricole à celle de la vitesse sur les routes.
Alors qu’à priori, aller toujours plus vite d’un point à un autre pourrait être considéré comme le signe du progrès, de la modernité et de la performance, il a été décidé de limiter la vitesse! Il a été décidé politiquement que tout ce qui était possible techniquement n’était pas forcèment bon pour la collectivité!
Une agriculture multifonctionnelle
En fait, le calcul a montré que la facture globale du “toujours plus vite” est supérieure aux gains individuels de tous ceux qui vont plus vite! C’est exactement ce que nous disons en agriculture: la facture globale du “toujours plus vite”, toujours plus d’intensification, de hortolisation, d’industrialisation, de concentration est largement supérieure à tous les gains que peuvent faire ceux qui tirent leur épingle de ce jeu. Coût social, coût environnemental, financier, humain, etc. etc.
A cette remise en cause, la réponse, d’où qu’elle vienne, est plus ou moins la même: “Ce serait un retour en arrière, ce serait la fin de la recherche, du progrès… qui n’avance pas, recule! etc. etc.”.
Revenons à la voiture: la limitation de la vitesse a-t-elle signifié la fin du progrès et de l’industrie automobile? Bien sûr que non! La recherche, la technologie, la modernité se sont rédeployées au service des nouveaux objectifs politiques: sécurité, économie de carburant, confort, etc. L’industrie automobile se porte aussi bien qu’a-vant, et les automobilistes, mieux!
En agriculture ne pourrait-on pas faire de mê-me? La recherche et le développement n’ont-ils pas à faire dans le sens d’une agriculture multifonctionnelle, économiquement efficiente, qui travaille l’imunité des bêtes, la fertilité des sols, la biodiversité à la place de la chimie, etc.? La révolution culturelle qui a eu lieu dans le domaine de la vitesse sur les routes, aura-t-elle lieu en agriculture? Ce qui concerne l’essentiel de la vie, ne mérie-t-il pas le destin accordé à un moins essentiel? Petit à petit le fruit murit, mais qu’il est long à atteindre la maturité!