Quand on fait la liste des facteurs politiques qui caractérisent la période actuelle, force est de constater que nous abordons une conjoncture inédite depuis 30 ans en ce qui concerne la re-connaissance territoriale et institutionnelle du Pays Basque Nord.
C’est d’abord l’épuisement d’un dispositif bousculé par la réforme des collectivité territoriales et la fin d’un cycle démarré en 92 avec les assises Pays Basque 2010. Cette réforme dont l’avenir est plus qu’incertain, les socialistes ayant affirmé à maintes re-prises qu’ils la suspendrait en cas de victoire en 2012, a déjà eu un effet majeur sur lequel il sera difficile de revenir: elle a entériné la fin de l’uniformité institutionnelle en vigueur dans la métropole (hormis le statut des grandes villes). Les élus alsaciens s’en sont emparés et prévoient la création d’une nouvelle collectivité territoriale regroupant la région et les deux départements existants. Des député bretons, dans le but de faciliter la réunification de la Bretagne (rattachement de la Loire-Atlantique) ont fait voter un amendement au projet de loi sur l’organisation des référendums d’initiative partagée prévus par la réforme constitutionnelle de 2008, pour permettre «à un département qui souhaite changer de région administrative de demander l’organisation d’un référendum local sur son territoire, sans que les autres départements de sa région puissent l’en empêcher». Un argument de plus à ceux et celles qui revendiquent une consultation des habitant(e)s du Pays Basque sur l’avenir institutionnel de leur territoire.
On mesure aujourd’hui un basculement dans la perception des choses et la majorité des citoyen(ne)s et des élu(e)s ressent à divers degré la nécessité d’un changement: l’existant n’est plus adapté, il faut passer à autre chose et avec la réforme territoriale ou «l’acte III de la décentralisation» promis par les socialistes, c’est le bon mo-ment pour franchir un pas significatif et ériger le Pays Basque Nord en sujet politique. Les Conseils de développement et des élus ont entamé un travail de réflexion sur la bonne échelle pour situer l’action publique en Pays Basque et consultent aussi experts juridiques ou personnalités extérieures. Jamais une telle démarche n’avait eu lieu, jamais autant de ressources n’a-vaient été mobilisées.
Parallèlement, le tournant historique de l’arrêt définitif de la lutte armée en Pays Basque vient mettre un point final au prétexte bon marché maintes fois évoqué en dernier recours: ne pas céder à une revendication initiée par les abertzale, qui pourrait laisser croire à une faiblesse de l’État face à l’action violente et gêner Madrid dans sa «lutte contre le terrorisme». La rupture opérée fait bouger les lignes y compris dans la classe politique d’Iparralde. «Aborder les racines du conflit politique» comme le préconise le quatrième point de la déclaration de Donostia (conférence de paix du 17 octobre dernier) trouve aussi un écho ici et les plus lucides, alors que certains de leurs interlocuteurs institutionnels du Sud appartiennent désormais à la gauche abertzale, sentent bien que l’immobilisme en Iparralde sera bientôt intenable face aux changements en marche en Hegoalde.
Les opposants restent puissants mais sans arguments autre que la peur de l’inconnu, leur propre fantasmes ou celui «de ne pas céder aux Basques…». D’autres restent encore empêtrés dans le discours répété depuis février 2009 et la visite à Balladur des délégations Conseils des élus et de développement, qui voit trois options possibles et cherchent un consensus entre la première (statu quo peu crédible après la réforme territoriale) et la troisième jugée trop radicale (collectivité spécifique à l’instar de la Corse). Pourtant la solution «médiane» du syndicat mixte n’est ni réaliste ni crédible et aucune force politique, ni groupes d’élus significatif ne la défend. A l’inverse elle fait contre elle l’unanimité des présidents de communautés de communes peu enclins à céder quelque compétence que ce soit. C’est bien autour d’une collectivité territoriale spécifique que doit se faire le débat et peuvent se nouer les compromis: calendrier de création, transfert échelonné des compétences, consultation de la population… Quelle position prendront les Conseils des élus et de développement? Encore un er-satz, un bidule, un meccano ou une solution sérieuse, lisible pour les habitant(e)s du territoire, permettant la gestion des questions stratégiques pour l’avenir et surtout accordant cette reconnaissance politique légitime du Pays Basque? Cette prise de position, si elle ne garantit pas à elle seule de réponse positive des sommets de l’État, pèsera très lourd.