Les guerres de mémoires

Bakegileak
11.000 basques à Paris le 9 décembre.

Le Pays Basque vit encore les tensions inhérentes à tout conflit armé survenu de par le monde. La Marche du 9 décembre 2017 à Paris, de Montparnasse à la Place Vauban, restera comme un moment exceptionnel de “mémoire partagée” vécu dans un espace à la symbolique très guerrière.

Retour sur image. Parlons plutôt de choc des images. La manifestation du 9 décembre dédiée aux prisonniers basques d’ETA, restera dans les mémoires.

Elle est pourtant passé inaperçue aux yeux de centaines de milliers de parisiens (plus intéressés par l’hommage rendu au même moment à Johnny Halliday, sur les Champs Élysées), consignée qu’elle était entre la gare Montparnasse, la petite place adjacente du 18 juin 1940, lieu du rassemblement, avec pour objectif final la majestueuse place Vauban et la statue du maréchal Gallieni aux portes du Champ-de-Mars.

Que de symboles guerriers en ces lieux!

Il y avait là Vauban, concepteur d’immenses places fortes telles que celles de Bayonne, Navarrenx, Saint- Jean-Pied-de-Port. Gallieni, militaire connu pour ses faits de guerre dans les armées coloniales françaises. Mars, Dieu romain de la guerre. L’Hôtel des Invalides immense ensemble classique édifié par Louis XIV pour y loger les invalides de ses armées, musée de la guerre, nécropole militaire où est exposé le tombeau de Napoléon 1er… Grandeurs et misères de l’Histoire de France jusque dans ce Champ-de-Mars devenu théâtre d’immenses rendez-vous populaires au fil des siècles (parmi lesquels, clin d’oeil de l’histoire, un concert de Johnny Halliday d’un million de fans en 2009). C’est là aussi face à l’École Militaire, qu’un “Mur pour la Paix” symbolique, fut édifié lors du passage à l’an 2000.

Dans cet espace parisien grandiose se retrouvèrent donc 11.000 marcheurs, dont 5.000 venus par train et bus, depuis le Pays Basque Sud. Des personnes âgées, fatiguées mais revigorées par la foule, des familles de prisonniers entre résignation et espérances, d’anciens prisonniers vieillis aux regards perdus à leur arrivée sous la Tour Montparnasse, des militants fringants de jeunesse, des élus de tous bords, des Artisans de Paix heureux d’en être et des sympathisants de tout crin désespérant de voir le conflit basque un jour dénoué.

10 ans de Memoria Historica

Le cortège fut sinon presque joyeux, en tout cas épargné par ces moments d’insoutenables tensions vécues au fil des dernières décennies. Car il y avait de l’espoir chez ces personnes engagées dans le processus de paix, “montées” à Paris afin d’exiger l’engagement formel de l’État français, à un moment où la question des “mémoires à partager” se pose en maints pays. Voilà donc cette mémoire encore à forger au Pays Basque, mais aussi en Espagne et en France deux nations ayant peine à démêler les fils de leur propre histoire. On le voit bien sur les questions brûlantes telles que celles relatives à la colonisation française, en Afrique et dans le Maghreb notamment. On le sait aussi en Espagne où l’année du désarmement d’ETA survenu le 8 avril 2017 à Bayonne (6 ans après son cessez-le feu unilatéral et définitif) a coïncidé avec le dixième anniversaire de la loi instaurant le principe de la “Memoria Historica” appliquée à la guerre civile de 36-37 et aux 40 ans de dictature franquiste. Adoptée le 28 octobre 2007 au Congrès des députés puis le 10 décembre 2007 au Sénat, entrée en vigueur le 26 décembre suivant. Elle a marqué une avancée considérable en dépit de ses faiblesses congénitales. Portée par le socialiste José Luis Zapatero à partir de 2004 (son grand-père Juan Rodriguez Lozano avait été fusillé par les franquistes en 1936), elle fut l’occasion d’affrontements verbaux d’une extrême virulence PSOE/PP. Jusque-là, seule l’histoire des vainqueurs avait été officialisée. Statuaire et muséographie franquiste omniprésentes, le nombre des disparus républicains était évalué à bien plus de 100.000 personnes. Le PSOE finança ce nouveau chapitre. La dernière statue équestre de Franco fut déboulonnée en 2008 à Santander. Plusieurs centaines de fosses communes ont été ouvertes. Mais des centaines d’autres restent à fouiller, le PP ayant bloqué tout financement à partir de 2011.

Il y avait de l’espoir
chez ces personnes engagées
dans le processus de paix,
“montées” à Paris afin d’exiger l
’engagement formel de l’État français,
à un moment où
la question des “mémoires à partager” se pose.

L’exigence de justice

Dans la préface d’un ouvrage passionnant intitulé Les guerres de mémoires. La France et son histoire (1), l’historien Benjamin Stora pose des questions essentielles : “Dans quelle mesure peut-on légiférer sur la mémoire, le pardon, la réconciliation? Faut-il défendre un droit à l’oubli? Mais qu’en est-il alors d’un droit à la mémoire? Quelle place donner à ces mémoires dans nos musées, nos écoles ou sur les monuments, dans les commémorations officielles ?”

Benjamin Stora souligne qu’il ne faut pas confondre Mémoire historique et Histoire. Et rappelle qu’en 1990, en exprimant une “exigence de justice au sortir du régime d’Apartheid, l’Afrique du sud a donné une sorte de coup d’envoi mémoriel” à un processus désormais mondialisé. C’est justement l’un des modèles auquel le processus de paix basque s’est d’emblée référé. “Après des périodes de grandes fièvres —soulèvements, guerres, révolutions, massacres, génocides, ajoute-t-il, les sociétés accumulent des silences pour faire en sorte que tous les citoyens poursuivent leur vie ensemble. Ce n’est qu’ensuite que les mémoires douloureuses remontent à la surface. Et parfois alors des conflits commencent…” On l’a bien compris au Bake Museoa de Gernika dédié à la culture de la paix et des droits humains, créé par la Ville et les institutions basques. Lors du 80e anniversaire du bombardement de la cité, Euskadi a encore demandé le transfert du Guernica de Picasso au Pays basque. En vain. Mais l’année 2017 s’y est achevée sur l’exposition Mémoires de pierre et d’acier. Monuments aux victimes de la guerre civile et du franquisme en Euskadi 1936-2017.

(1). Paru aux éditions La Découverte 2008-2010, dirigé par Pascal Blanchard et Isabelle Veyrat-Masson. Préface Benjamin Stora.

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