Le PKK, du stalinisme à l’écologie sociale

La fête de Newroz a fourni a Ocalan l’occasion de confirmer sa volonté d’abandonner les armes et de “déterminer les stratégies et tactiques sociales et politiques adaptées à notre temps”.
La fête de Newroz a fourni a Ocalan l’occasion de confirmer sa volonté d’abandonner les armes et de “déterminer les stratégies et tactiques sociales et politiques adaptées à notre temps”.

Le PKK en passe d’abandonner la lutte armée en Turquie. Qui l’eut dit, il y a quelques années, quand Abdullah Ocalan, leader incontesté du parti indépendantiste kurde, tombait dans les filets tendus par les services secrets Turcs, aidés du Mossad Israélien.

La fête de Newroz, le nouvel an kurde (21 mars), est un rendez-vous politique majeur de la rébellion des Kurdes de Turquie. Cette année, la fébrilité était à son comble ; des centaines de milliers de Kurdes et près de mille journalistes s’étaient rassemblés à Diyarbakir pour prendre connaissance de la lettre transmise depuis sa prison par Abdullah Ocalan, le leader historique de la rébellion armée du PKK. Cette fébrilité était bien naturelle puisque, quelques semaines auparavant, Ocalan avait invité le PKK “à organiser un congrès extraordinaire au printemps pour prendre la décision stratégique et historique d’abandonner la lutte armée”.

La fête de Newroz a fourni a Ocalan l’occasion de confirmer sa volonté d’abandonner les armes et de “déterminer les stratégies et tactiques sociales et politiques adaptées à notre temps”.

Depuis plusieurs années déjà le PKK ne revendique plus un Etat indépendant; “tout ce que nous voulons, c’est vivre librement avec notre identité et nos valeurs dans des conditions démocratiques” rappelle Cemil Bayik, l’un des dirigeants du PKK, dans une entrevue accordée à The Economist.

Les rebelles ont également tourné la page de leur passé marxiste-léniniste : “Nous rejetons la dictature de classe et nous rejetons la dictature du parti”. Pour une formation naguère connue pour ses pratiques  autoritaires et son culte du chef, le revirement est de taille, et même si son implémentation sur le terrain n’est pas toujours évidente, il mérite que l’on s’y attarde.

Autocritique d’Ocalan

Comme Gramsci au siècle dernier, Abdullah Ocalan a publié en 2007 des “carnets de prison” dans lesquels il tente de repenser les fondements idéologiques de son parti. Il s’y livre à une autocritique sans complaisance :
il est devenu clair que notre théorie, notre programme et notre praxis des années 70 n’ont rien produit d’autre que du séparatisme futile, de la violence, et encore pire, que le nationalisme que nous aurions dû combattre nous avait tous infestés”.

Ocalan reconnaît également dans ces pages son propre dogmatisme “nourri par des vérités abstraites”. “Dès que l’on articule ces vérités générales” explique-t-il, “on se sent comme un grand prêtre au service de son dieu. C’est l’erreur que j’ai commise”.

De manière assez improbable, c’est vers une sorte de socialisme libertaire et d’internationalisme anarchiste qu’Ocalan s’est tourné pour proposer une nouvelle direction à son mouvement. En 2004, il s’est ainsi déclaré
étudiant de Murray Bookchin”, connu comme l’un des fondateurs de l’écologie sociale et père du “municipalisme libertaire”.

Ancien staliniste comme Ocalan dans les années 30, Bookchin fut ensuite trotskiste avant d’abandonner le marxisme dans les années 40. Il restait convaincu que le capitalisme était un système voué à s’effondrer, mais ne croyait plus que ce serait grâce à l’organisation du prolétariat. Pour lui, le point faible du capitalisme était son caractère destructeur pour l’environnement et par extension pour l’humanité. Il proposa donc un “municipalisme libertaire” prônant la décentralisation, les circuits courts, et une gestion des cités par des assemblées démocratiques.

Selon Bookchin, cette organisation de la société devrait à terme éliminer les Etats-nations au profit de confédérations rassemblant des cités décentralisées.

La conversion d’Ocalan à une telle théorie était improbable et, comme on peut s’en douter, elle fut raillée par la presse turque.

Je me souviens m’être moi aussi demandé quelle mouche avait bien pu piquer les dirigeants du PKK lorsque le mouvement salua “l’un des plus grands scientifiques sociaux du XXe siècle” à la mort de Bookchin en 2006, en le remerciant d’avoir “initié [le PKK] à la pensée de l’écologie sociale”.  Mais on ne saurait nier à Ocalan une certaine opiniâtreté et cette idéologie imprègne désormais le PKK. La militante anarchiste Janet Biehl, veuve de Bookchin, rapporte par exemple que l’ouvrage “Urbanization without cities” est conseillé à tous les maires du PKK, et “Ecology of freedom” recommandé à tous ses militants.

Impulser une démocratie directe

L’abandon de la revendication d’indépendance par le PKK ne serait donc pas une concession faite à l’ennemi mais une mesure de cohérence idéologique. L’objectif est d’impulser une démocratie directe de type athénien dans les municipalités kurdes, d’unir ces municipalités dans des confédérations plus larges et de vider de sa substance l’Etat-nation turc en visant l’auto-gouvernement. Dans cette perspective, ce serait une erreur de chercher à remplacer la tutelle turque par un nouvel Etat Nation kurde qui succomberait probablement aux mêmes travers.

L’abandon de la revendication d’indépendance par le PKK
ne serait donc pas une concession faite à l’ennemi
mais une mesure de cohérence idéologique.
L’objectif est d’impulser une démocratie directe
de type athénien dans les municipalités kurdes.

La lutte armée est quant à elle un frein à l’organisation démocratique des cités et c’est donc en conformité avec la logique du municipalisme libertaire qu’Ocalan a envisagé son abandon dans sa lettre de Newroz. Le Kurdistan de Turquie ne s’est, bien entendu, pas encore transformé en vaste commune anarchiste et Ocalan a prouvé à plusieurs reprises qu’il était peu disposé à partager ses prérogatives de dirigeant suprême. Il n’en reste pas moins que cette refondation des bases théoriques du PKK, fût-elle purement rhétorique, est très intéressante.

Elle s’accompagne de plus d’un dynamisme inédit de la branche politique du mouvement dont le discours progressiste parvient à toucher des secteurs non kurdes de la société turque.

A l’approche des élections parlementaires du 7 juin, je reviendrai dans ma prochaine chronique sur cette rare note d’espoir au Moyen-Orient.

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2 thoughts on “Le PKK, du stalinisme à l’écologie sociale

  1. Bai Milesker, oso interesgarria da, ea daukagun zerbait irakasteko hortan?

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