Le nouveau président catalan ne lâche rien (2/2)

Quim Torra lors de son élection comme Président de la Généralitat
Quim Torra lors de son élection comme Président de la Généralitat

Élu par le parlement, Quim Torra nomme des ministres incarcérés ou en exil. Il maintient la pression sur l’Espagne qui s’enferre dans sa logique répressive bafouant les règles élémentaires de la démocratie. Le PNV apporte son soutien au gouvernement de Rajoy bien que le statut d’autonomie des Catalans soit suspendu. Sous la menace du calibre 155 braqué sur sa tempe, le nouveau président ne gouvernera pas vraiment, mais il maintiendra vivant le message exprimé lors du référendum d’autodétermination. Suite et fin de la première partie.

«Patriotisme civil incluant» espagnol et «nationalisme excluant et populiste» des Catalans

Les derniers sondages diminuent encore sa légitimité. Mais Mariano Rajoy est parvenu à sauver sa tête le 14 mai, en évitant des élections anticipées à la rentrée. Il tente de se servir de la rébellion catalane en prenant la tête d’une union sacrée rassemblant sous sa bannière les deux autres partis, le PSOE et Ciudadanos. Le projet tangue, tous trois sont divisés sur la mise en œuvre de l’article 155 et son contenu. Ils ont les yeux rivés sur les prochaines élections et sont d’abord rivaux, il s’agit d’abord de devenir calife à la place du calife. Le PP affaibli et minoritaire se réfugie toujours dans une rigidité juridique et judiciaire, il refuse d’aborder la question catalane en termes politiques. Une autre voie est-elle possible? Pour engager un débat institutionnel de fond, il lui faudrait des coudées franches, une forte légitimité. Mariano Rajoy se trouve dans la même position que l’Anglaise Theresa May qui, faute de majorité solide, peine à gérer sérieusement la crise du Brexit. Le premier ministre est contraint de louvoyer et de gagner du temps. Ciudadanos attend que le PP tombe comme un fruit mûr et se lance dans un nouveau discours, celui de «l’Espagne citoyenne», basé sur un «patriotisme civil incluant» qui doit «unir les Espagnols» et n’a rien à voir avec le «nationalisme excluant et populiste» des Catalans. Jouer ainsi sur les mots laisse perplexe. Le coordinateur d’IU cloue déjà Ciudadanos au piloris: leur «projet emprunte le nationalisme à Le Pen et le projet économique à Macron».
Le gouvernement espagnol s’embourbe dans la corruption. L’affaire Gürtel portant sur le financement illicite du Parti Populaire fait des ravages avec la condamnation le 24 mai à plusieurs dizaines d’années de prison chacun, 30 dirigeants dont l’ex-numéro 2 et l’ex-trésorier du parti. Le PP doit même payer 245.292 euros. Le PSOE saisit la balle au bond et tente de renverser le gouvernement en présentant une motion de censure. Va-t-elle prospérer? Une chose est de chasser un premier ministre honni, autre chose est de diriger le pays grâce à une majorité stable. Même si les socialistes échouent, Mariano Rajoy ne sortira pas grandi de ce nouvel épisode: il est un premier ministre par défaut et en sursis.
Le PNV est parvenu à tirer son épingle du jeu avec son habituelle habileté, au prix de quelques contorsions et en foulant aux pied la solidarité avec les Catalans. Le «parti pendulaire» s’en défend bien sûr. Il tient la tête de Mariano Rajoy hors de l’eau et même par les k…, comme dirait Tartaro en termes moins châtiés. Ce scénario est idéal pour grappiller ttantto et hamarreko, voire risquer le hordago. Il devrait se renouveler l’an prochain. L’occasion ne se présente pas si souvent que cela dans le siècle et l’on connaît le talent du vieux parti basque pour faire cracher au bassinet ceux qui sont au pouvoir en Espagne lorsqu’ils sont faibles. Il fait régulièrement monter les enchères, cinq députés PNV valent de l’or.

Coup de maître

Toute autre est la voie empruntée par les abertzale catalans. Elle est beaucoup plus escarpée et périlleuse. Ils parviennent tout d’abord à maintenir leur unité, ce qui constitue un véritable exploit, tant est rude le choc des locomotives depuis le référendum du 1er octobre. Malgré les tensions inévitables, la classe politique catalane exposée à tous les coups, fait preuve d’un courage et d’une abnégation extraordinaires qui devraient faire l’admiration de l’Europe où la course aux places et aux honneurs ainsi que les ambitions de carrières, sont généralisées dans les élites.
Pour sortir de la crise en attendant des jours meilleurs, les indépendantistes catalans auraient pu accepter l’offre de Mariano Rajoy: faire fonctionner un gouvernement autonome dont la composition soit conforme aux exigences espagnoles et obtenir la levée de la suspension de l’autonomie par l’article 155. Ils se seraient retrouvés à la case départ avec un pouvoir fantoche, un os à ronger, tant l’Espagne est attentive à maintenir le carcan judiciaire, comme elle le fit en 2016-2017. La parenthèse du référendum d’autodétermination aurait ainsi été refermée sous un bel emballage de légalité et de formalités «démocratiques». Pour les Espagnols, la question catalane aurait été provisoirement réglée. Sans doute Mariano Rajoy a-t-il cru que ce scénario était possible lorsqu’il accorda le droit de voter au parlement à deux députés exilés, dont Carles Puigdemont en personne.

Deux lehendakari pour le prix d’un

Les Catalans ont joué cette partie très finement en poussant l’adversaire à la faute. Non seulement, ils évitent la dissolution et de nouvelles élections régionales, mais pendant quatre ans, les Espagnols se retrouvent face à deux Lehendakari pour le prix d’un. Carles Puigdemont en Europe, chargé de convaincre l’opinion publique du continent de la légitimité de l’indépendance catalane… et en relation constante avec lui, Quim Torra non pas dans la rue, mais à la tête de la Generalitat. Légalement élu, «dans le respect de la loi», comme dirait Rajoy.
Dès son élection, Quim Torra montre qu’il ne lâchera rien. Il enfonce le clou avec délice. Son rôle sera celui de mettre en lumière de façon éclatante et sous les yeux des opinions publiques catalanes et européennes, la sujétion dans laquelle l’Espagne soumet tout un peuple. Sous la domination impériale, impossible de se donner le gouvernement de son choix, impossible de mettre en œuvre les lois que les députés ont approuvé. Impossible de voter normalement le jour d’un référendum. Les électeurs indépendantistes et leurs élus sont devenus des citoyens de seconde zone dont le vote ou le mandat ne sont pas respectés, comme dans l’Algérie de papa. Le double collège n’est pas loin.
Au cœur même des institutions, Quim Torra révélera chaque jour la violation des règles les plus élémentaires de la vie démocratique. En d’autre termes, la dimension coloniale de la présence espagnole en Catalogne, qui «est devenue surtout négativité» (2). Madrid s’enferre dans sa logique répressive. Autant d’arguments qui permettront aux indépendantistes catalans non seulement de maintenir vive leur revendication, mais aussi de convaincre l’opinion dans leur aire d’influence. Car c’est là que se joue la vraie bataille.
Le premier ministre espagnol est tombé à pieds joints dans le piège qu’il a tendu lui-même. La crise des institutions va se poursuivre en Espagne, tant est grand son effet déstabilisateur sur le système en place depuis 1980 et sur la carte des partis politiques avec le morcellement que l’on connaît. Autant ETA favorisait la gouvernabilité de l’État espagnol, autant l’indépendantisme catalan contribue largement à rendre le pays ingouvernable.

Rupture des liens de dépendance

En ce sens, le retrait de Puigdemont et l’élection de Quim Torra sont un coup de maître: le roi est nu et chaque jour apporte la preuve que ce petit peuple mineur et sous tutelle n’a pas le droit de décider de son destin ou des aspects fondamentaux de son organisation sociale. Comme il n’a pas le droit de «choisir ses partenaires» ou «ses interdépendances» (1). A chaque étape, les Catalans brisent une mystification, celle de l’adhésion apparente d’une société et d’institutions catalanes à un ensemble ibérique plus large, en réalité dominées par un Etat espagnol sûr de sa majorité démographique et que certains nomment encore «les Espagnes». Ce fut pourtant cette impression d’adhésion que donna le Catalanisme des années 80 et suivantes.
«Pour que le colonisateur soit complètement le maître, il ne suffit pas qu’il le soit objectivement, il faut encore qu’il croie à sa légitimité; et pour que cette légitimité soit entière, il ne suffit pas que le colonisé soit objectivement esclave, il est nécessaire qu’il s’accepte tel. En somme, le colonisateur doit être reconnu par le colonisé» (2). En ce début du XXIe siècle, le souverainisme catalan rompt ce type de liens faits de croyances et de reconnaissances apparentes qui sont autant de mystifications provisoires. En cela, l’élection de Quim Torra constitue un chapitre essentiel sur la longue route vers la souveraineté.
L’indépendantisme basque a longtemps cru que la rupture des liens de dépendance et symboliques pouvait se faire par le moyen de la lutte armée ou que celle-ci pouvait y contribuer. Chacun connaît le piètre résultat de cette démarche, au moins en termes de résultat immédiat. Elle marque toutefois une étape avec ses ombres et ses lumières. La comparaison des deux situations catalanes et basques permet de percevoir les acquis, les obstacles, le chemin et l’orientation qui nous restent à prendre et à parcourir.

(1) «La souveraineté, c’est le droit de choisir ses partenaires. (…) Pour un petit pays comme le nôtre, l’indépendance, c’est de bien calculer les interdépendances». Jean-Marie Tjibaou, La présence kanak, p. 179, Odile Jacob, 1996.
(2) Albert Memmi, Portait du colonisé, portait du colonisateur, 1957, Gallimard/Folio, pp. 144 et 107-108.

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