La Kanaky à l’heure du référendum

HeureRéférendum(Avec une connaissance fine du destin des peuples minoritaires de part le monde, David Lannes enrichit chaque livraison d’Enbata. Alors que se joue démocratiquement l’avenir de la Nouvelle Calédonie, ce 4 novembre, il en décrit les enjeux et l’engagement politique de ses acteurs.)

Après des mois d’une prudente torpeur pendant lesquels les camps loyaliste et indépendantiste se sont regardés en chiens de faïence, la campagne pour le référendum d’autodétermination de la Kanaky bat désormais son plein. Il ne reste plus que quelques jours avant que les 174 154 électeurs de la “liste électorale spéciale pour la consultation” ne soient appelés à répondre à la question : “Voulez-vous que la Nouvelle-Calédonie accède à la pleine souveraineté et devienne indépendante ?”.

Sans surprise, les loyalistes de droite (Les Républicains de Wauquiez et le Rassemblement de Le Pen) mènent une campagne visant à effrayer les électeurs des conséquences qu’aurait le succès du “oui”. Dans leur livret de campagne intitulé Les conséquences d’une indépendance sur le quotidien des Calédoniens on trouve ainsi une comparaison détaillée du niveau de vie des Calédoniens avec celui de certains de leurs voisins indépendants —Vanuatu, Salomon, Papouasie, Iles Fidji, mais bizarrement pas l’Australie ou la Nouvelle-Zélande— et une ode aux “acquis sociaux” assez inhabituelle chez Les Républicains.

La conclusion s’impose : “Restons français pour assurer l’avenir de nos enfants”.

La position des partis français

S’il n’hésite pas lui non plus à forcer le trait (“si c’est “ouià Kanaky, dans les dix ans, pas plus, on deviendra une colonie chinoise”), le député Philippe Gomès qui dirige Calédonie ensemble, le principal parti de l’archipel (affilié LREM), se veut plus constructif. Le référendum du 4 novembre sera selon lui “la date la plus importante depuis la prise de possession le 24 septembre 1853” parce qu’il transformera la nature du lien de souveraineté entre la France et la Nouvelle-Calédonie : “on va passer d’un lien d’autorité à un lien de souveraineté démocratiquement choisi par le peuple”. Pour Gomès, les deux camps doivent faire évoluer leurs positions. Le camp loyaliste tout d’abord, qui doit accepter l’existence et la particularité d’un “peuple calédonien” issu du peuple autochtone kanak et des populations venues d’ailleurs. Quant au camp indépendantiste, il devrait renoncer selon Gomès à son idéal d’une souveraineté pleine et entière, un concept hérité de la grande vague de décolonisation du XXème siècle, mais inadapté au XXIème siècle et à la Nouvelle- Calédonie : “comment prétendre exercer des compétences régaliennes pour lesquelles on n’a ni les moyens d’exercer, ni les hommes pour l’exercer” ?

Les partisans du oui

Cette question ne décontenance évidemment pas les leaders indépendantistes : “on est confiants, on a eu 30 ans pour se préparer à l’indépendance” affirme ainsi Roch Wamytan, chef du groupe FLNKS et nationaliste au Congrès calédonien. Paul Néaouytine, président de la province Nord et membre du FLNKS, abonde : “nous sommes déjà un pays quasi-indépendant, nous exerçons de nombreuses compétences et il n’y a donc pas de saut dans le vide”.

De fait, il ne manque à la Nouvelle-Calédonie que les compétences de l’audiovisuel, de l’administration des collectivités, de l’enseignement supérieur ainsi que les compétences régaliennes (justice, défense, politique internationale, etc.).

Pour dissiper les doutes et les craintes de la population, les partisans du “oui” s’efforcent en premier lieu de relativiser l’importance du soutien financier de la métropole. Certes, l’État verse chaque année 1,3 milliard d’euros par an à l’archipel (15% de son PIB) mais seule une faible partie de ces fonds est affectée au développement du territoire alors qu’une énorme partie repart vers la métropole. Deuxième argument des indépendantistes : la Kanaky serait économiquement viable. “Les budgets sociaux, c’est le territoire qui les couvre […] On a cinq usines de nickel, […] pour un petit pays de 300 000 habitants” s’enthousiasme ainsi Louis Mapou, l’un des dirigeants de l’Union Nationale pour l’Indépendance. Enfin, le FLNKS prône une période de transition douce, permettant “d’élaborer un partenariat entre le nouvel État et la France”.

La doctrine de Paris

Et le gouvernement français, justement, qu’en pense-t-il ? S’il revendique son impartialité, on devine sans peine qu’il ne souhaite pas perdre un territoire qui renferme le quart des réserves mondiales de nickel et permet à la France d’être la deuxième puissance maritime mondiale.

Dans une note publiée le 5 octobre sur les conséquences juridiques du vote, Paris explique que si le “non” l’emporte les transferts financiers seront maintenus et que la Nouvelle-Calédonie conservera les compétences acquises dans le cadre de l’accord de Nouméa.

En cas de victoire du “oui” par contre, “les mécanismes actuels des financements de l’État n’auront plus de fondement juridique, et seront donc caducs”. Du pain béni pour les loyalistes, à l’image de Sonia Backès (LR) qui se réjouit que cette note de l’État ait fait “voler en éclat la théorie de l’indépendance avec partenariat” proposée par le FLNKS.

Autre motif de satisfaction pour Sonia Backès et ses troupes, les sondages donnent le “non” largement vainqueur, avec un score qui oscille entre 66 et 75%. Selon ces enquêtes, les électeurs votent “non” pour des raisons liées à la sécurité (95%), à l’économie (94%), au niveau de vie (92%) et, dans une moindre mesure, pour conserver la citoyenneté française (77%). Les partisans du “oui” mettent quant à eux en avant l’opportunité d’une nouvelle phase de développement, de nouveaux liens avec d’autres pays du monde, un renforcement du vivre-ensemble et, surtout, une reconnaissance de l’identité kanak (97%). Ce dernier point n’est pas surprenant car, comme le reconnait Alain Christnacht, ancien Hautcommissaire en Nouvelle-Calédonie et coauteur du préambule de l’accord de Nouméa en 1998, “il y a de la part des Kanaks une inquiétude un peu sourde qu’une nouvelle immigration les ramène à 20 ou 10% de la population, comme les Maoris en Nouvelle-Zélande ou les Aborigènes en Australie”. De fait, même sur la liste référendaire où ils sont surreprésentés par rapport à la population actuelle de l’archipel, les Kanaks sont déjà minoritaires.

On devine sans peine que le gouvernement français,
s’il revendique son impartialité,
ne souhaite pas perdre un territoire
qui renferme le quart des réserves mondiales de nickel
et permet à la France d’être
la deuxième puissance maritime mondiale.

Les kanaks divisés

Ce constat suscite un certain ressentiment. Certes, les non-Kanaks doivent avoir résidé dans l’archipel sans interruption depuis le 31 décembre 1993 pour pouvoir participer au vote, mais les métropolitains arrivés dans les années 70 pendant le boom du nickel pourront prendre part au référendum. Les formations politiques Kanaks qui souhaitaient restreindre le corps électoral aux autochtones et aux “victimes de l’Histoire” acceptent assez mal de se retrouver minoritaires à cause de ceux qui avaient répondu à l’injonction du Premier ministre Messner en 1972 de “faire du blanc” en Kanaky : “la revendication nationaliste autochtone ne sera évitée que si les communautés non originaires du Pacifique représentent une masse démographique majoritaire”.

Cette frustration pousse certaines formations indépendantistes comme le Parti Travailliste ou l’USTKE, à appeler au boycott du référendum : “c’est le première fois qu’un peuple colonisé fait une telle concession” regrette un dirigeant de l’USTKE, “j’irai voter le jour où ce sera le vrai référendum d’autodétermination, c’est-à-dire que seul le peuple kanak vote”. Ce sentiment n’épargne pas certains dirigeants du FLNKS à l’instar de Daniel Goa qui a déclaré qu’en cas de victoire des loyalistes qu’il qualifie “d’axe du mal”, “l’ambition de créer un pays avec les invités de l’histoire sera éteinte”, mais que “le pays kanak obtiendra inéluctablement son indépendance, avec ou sans eux”.

Il n’en fallait pas plus pour provoquer une levée de boucliers des loyalistes, Les Républicains allant même jusqu’à dénoncer “une discrimination de la partie majoritaire de la population calédonienne” et à remettre en cause le principe de la tenue possible, pourtant prévue par les accords de Nouméa, d’un deuxième (voire d’un troisième) référendum si le “non” l’emporte.

Ce n’est malheureusement pas la seule provocation des anti-indépendantistes : des manifestants ont empêché la tenue d’un meeting du FLNKS à Ouegoa et le Président du Congrès de Nouvelle-Calédonie a retiré les couleurs du drapeau kanak de la façade de l’institution.

De telles initiatives sont inquiétantes car plus que le résultat du référendum qui ne semble guère faire de doute, c’est la gestion de la période post-référendaire qui sera cruciale. Comme le souligne Christnacht, “la loi de la majorité ne peut pas être le seul critère pour bâtir l’avenir de la Nouvelle-Calédonie […] Quelque chose bâti contre une très grande majorité des Kanaks serait certainement peu durable”.

Certains partisans du “oui” comme Philippe Gomès, se revendiquent d’un nationalisme calédonien et aspirent à une “souveraineté dans la République”, à une “véritable petite nation au sein de la nation française”.

Au FLNKS, certains pensent que ce nationalisme calédonien peut s’associer au nationalisme kanak et la solution d’un “État fédéré” est parfois évoquée comme une piste intéressante : la Kanaky resterait constitutionnellement au sein de l’État français, mais dotée de sa propre constitution.

Mais la République française sera-t-elle prête à accepter de telles mesures ?

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