Géopolitique du coronavirus au Moyen-Orient

GazaMediku
Kurdistan, Yémen, Palestine, je reviens souvent dans ces colonnes sur les conflits qui déchirent ces régions et le Moyen-Orient de manière plus générale. Éprouvées par des années de guerre, souvent déplacées et vivant dans des conditions précaires, les populations de ces territoires sont des victimes de prédilection du coronavirus.

La catastrophe redoutée est d’une ampleur telle qu’elle semble pouvoir faire bouger certaines des lignes de ces conflits. Il n’est peut-être donc pas inutile d’en faire un petit tour d’horizon…

En proie à une guerre civile qui a fait des centaines de milliers de morts depuis 2011, la Syrie, qui vient de diagnostiquer ses premiers cas, suscite naturellement de nombreuses inquiétudes. Le secrétaire général de l’ONU a ainsi appelé à un cessez-le-feu global et immédiat “pour se concentrer ensemble sur le véritable combat de nos vies”. C’est presque immédiatement que les Forces Démocratiques Syriennes (FDS, dominées par les forces kurdes du YPG) ont répondu : “Les FDS appellent toutes les parties du conflit syrien à s’abstenir de toute initiative ou action militaire”. Cette promptitude à accepter un cessez-le- feu s’explique probablement par la situation difficile dans laquelle les FDS se trouvent depuis que Trump les a abandonnées et qu’elles doivent faire face à des résurgences de l’État Islamique. Et surtout, depuis l’offensive de la Turquie qui les a délogées de nombreuses zones. Les conséquences de l’offensive turque se font durement ressentir. Sur le plan sanitaire tout d’abord puisque près de 200.000 déplacés vivent essentiellement dans des camps où le virus est susceptible de se propager comme une traînée de poudre. Les appareils de test opérationnels ont par ailleurs, été détruits en octobre lors de l’invasion turque, un seul des 16 hôpitaux du nord-est de la Syrie serait totalement opérationnel et il ne disposerait que de 11 respirateurs… La population souffre également des coupures d’eau imposées par la Turquie qui a pris le contrôle d’une importante station de pompage dont dépendent 400.000 personnes dans les zones administrées par les FDS.

Les Kurdes affaiblis

La Russie, censée servir d’intermédiaire entre les FDS et la Turquie, devrait théoriquement empêcher un tel chantage à l’eau, mais elle ne semble pas faire grand cas des Kurdes. Ce n’est pas un fait nouveau. En janvier, Moscou avait fait pression à l’ONU pour bloquer l’acheminement de l’aide humanitaire vers les zones kurdes. Désormais, l’aide arrivant en Syrie parvient soit aux zones tenues par des rebelles islamistes via la Turquie, soit directement au régime syrien. La menace du coronavirus survient donc à un moment où les Kurdes sont affaiblis et isolés ; elle risque par conséquent de les pousser à se tourner vers Assad, au prix d’une perte d’une partie de leur autonomie…

À vrai dire, le manque d’autonomie du pouvoir syrien est également palpable. Vis-à-vis de la Russie, tout d’abord, qui exige, en contrepartie de son aide contre le coronavirus, qu’Assad soutienne l’accord Russo-Turc pour une désescalade à Idlib, un accord qui ne le satisfait pourtant guère…

La dépendance de la Syrie vis-à-vis de l’Iran est également flagrante. Principal foyer du Covid-19 au Moyen-Orient, la République islamique a été prise de court par l’épidémie et, affaiblie par les sanctions américaines qui viennent d’ailleurs d’être renforcées, elle peine à la contrôler. La logique sanitaire voudrait donc que la Syrie limite au maximum ses échanges avec l’Iran, mais elle ne peut le faire tant elle a besoin de son aide pour ses opérations militaires, mais également pour la reconstruction du pays. Pour ne rien arranger, les pèlerins chiites qui reviennent d’Iran sont montrés du doigt par de nombreux Sunnites qui les accusent d’importer le virus. Si cette accusation n’est pas dénuée d’arrières pensées sectaires, elle n’est pas complètement infondée. De l’église Shincheonji de Jésus en Corée, aux évangélistes de Mulhouse, plusieurs exemples attestent de la dangerosité des manifestations religieuses de masse. Le problème se pose de manière aigüe en Iran et en Irak où se trouvent de nombreux lieux de pèlerinage chiites. La décision des gouvernements iranien et irakien de fermer les principaux sanctuaires témoigne de l’ampleur de la crise sanitaire, puisqu’une telle mesure n’avait jamais été prise, même au coeur de la guerre Iran-Irak. Elle suscite par ailleurs, de nombreuses tensions entre différents courants de l’islam chiite, certains d’entre eux refusant de se plier aux injonctions à ne pas se rassembler. En Irak par exemple, des croyants se frottent contre les barrières protégeant les sanctuaires pour prouver que rien ne peut leur arriver et l’influent leader chiite Muqtada al-Sadr refuse les mesures sanitaires en estimant que la pandémie est due “à la légalisation du mariage homosexuel”. Cette théorie n’ayant pas été à ce jour validée par une étude en double aveugle, on peut craindre qu’elle alimente une confusion favorable à la dissémination du virus dans tout le “croissant chiite” et même au-delà, comme par exemple au Yémen où les rebelles houthis, soutenus par l’Iran, affrontent depuis 5 ans le gouvernement yéménite et une coalition menée par l’Arabie Saoudite.

Le Yémen craint le pire

Même si le Yémen est, en ce début avril, le seul pays du Moyen-Orient sans aucun cas de Covid-19 diagnostiqué, la situation sanitaire fait craindre le pire. D’après le mouvement houthi, 93% de l’équipement médical du pays serait hors service. Une situation qui ne risque pas de s’arranger puisque les États-Unis ont annoncé la suspension de leur contribution aux organismes de l’ONU opérant dans les zones tenues par les Houthis. Sans surprise, le secrétaire général de l’ONU a, comme en Syrie, exhorté les différentes parties du conflit à une cessation immédiate des hostilités. Cet appel a officiellement été entendu, mais au vu des multiples négociations avortées de ces dernières années, peut-on y croire ?

La conjoncture est en ce moment plutôt favorable aux Houthis qui ont prouvé en septembre leur capacité à frapper les installations pétrolières saoudiennes et se sont, depuis, emparés de plusieurs bases militaires gouvernementales. L’homme fort du royaume saoudien, le Prince Mohammed ben Salman, avait lancé son pays dans la guerre il y a 5 ans, sans se douter qu’il s’y enliserait à ce point. Aujourd’hui, les Émirats Arabes Unis ont quitté la coalition et l’Arabie Saoudite est à cours de cash, en raison de la baisse du prix du pétrole. Pour certains, la pandémie de coronavirus et le cessez-le-feu qui s’en est suivi ouvrent, peut-être, une fenêtre d’espoir: Human Right Watch estime ainsi que “pour l’Arabie Saoudite, ce cessez-le-feu peut être une porte de sortie qui lui permette de sauver la face”…

Inquiétude à Gaza

Cette “porte de sortie” reste une transition douteuse pour évoquer la Palestine où tous les points de passage de la Cisjordanie et de Gaza avec Israël, sont fermés depuis le 22 mars. Comme un peu partout dans le monde musulman, les prières du vendredi ont été suspendues, mais cette mesure se heurte, en Palestine, à des difficultés supplémentaires. Ainsi, la décision sans précédent d’interdire l’accès à la mosquée d’Al Aqsa a dû se faire dans un contexte où des extrémistes juifs appellent à s’en emparer. De manière plus sordide encore, l’armée israélienne est venue détruire un petit hôpital de campagne construit par des Palestiniens dans la vallée du Jourdain pour accueillir les futurs malades du Covid-19. Mais c’est bien évidemment, à Gaza que la situation est la plus inquiétante. Les premiers temps de l’épidémie, lorsque les Gazaouis ironisaient sur les réseaux sociaux (“Alors le monde, c’est comment le confinement ?”, “Gaza, l’endroit le plus sûr du monde, même le Covid-19 ne peut y rentrer”), semblent désormais bien lointains. Après la découverte des premiers cas, la perspective d’une hécatombe dans ce territoire exsangue et très densément peuplé, est désormais évoquée ouvertement par le ministère de la Santé : “nous sommes plus inquiets aujourd’hui que nous ne l’avons jamais été lors des attaques israéliennes de ces 20 dernières années”. La possibilité d’une “explosion interne” poussant les Gazaouis à fuir en masse vers Israël inquiète d’ailleurs le Jerusalem Post selon lequel “il n’y aurait aucun moyen de présenter sous un jour favorable des images de l’armée israélienne ouvrant le feu sur des Palestiniens en quête d’assistance médicale”.

La possibilité d’une “explosion interne
poussant les Gazaouis à fuir en masse vers Israël
inquiète d’ailleurs le Jerusalem Post
selon lequel il n’y aurait aucun moyen
de présenter sous un jour favorable
des images de l’armée israélienne
ouvrant le feu
sur des Palestiniens en quête d’assistance médicale”.

Un scénario qui n’est malheureusement pas complètement improbable, au vu des derniers développements politiques en Israël. L’accord de gouvernement entre Netanyahou et le “centriste” Benny Gantz, laisserait à son poste le ministre de la santé Yaakov Litzman, malgré son approche originale de la pandémie (“nous prions et espérons que le Messie arrivera avant Pâques”). Le ministère de la Police serait confié à Miri Regev, connue pour s’être proclamée “heureuse d’être fasciste”. Il ne faudra pas trop compter sur leur compassion si un drame sanitaire survient à Gaza…

 

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