Automne et caetera

AutomneD’abord, tu rentres pas. T’as RV à 13h30 ? Mais ça ouvre à 14:00. Julie mange tranquille, attends un peu ici avec nous. Je te présente mon fils. Le fils : immense, à qui manquent les dents de devant.

Hier avoir dit qu’on ne pouvait pas isoler l’expression sans-dents, non qu’on puisse la justifier mais tu sais : dire ce qu’on dit parfois permet de ne pas penser totalement ce qu’on dit – eh bien là, devant le fils qui n’est pas le fils, immense, sur le trottoir de la rue des Bourdonnais, cheveux hirsutes, à qui manquent les dents de devant, toutes, qui bientôt s’engueule avec celui qui se présente comme père, le père porte un gilet comme ceux avec lesquels on fait du vélo la nuit, eh bien devant le fils, l’expression sans dents que VT raconte que le président de la République son ex-amant utilise pour parler des pauvres est la preuve, alors, 13:30, début d’automne 2014, mais je sais, je fonctionne par raccourcis et grosses ellipses, est la preuve, contrairement à ce que je disais pas plus tard qu’hier, qu’ils ne veulent pas forcément y arriver. C’est vrai jusque-là je pensais qu’ils voulaient vraiment y arriver, même faisant  systématiquement le contraire de ce qu’on imagine qu’on pourrait faire, même malades d’un manque radical et fatal d’imaginaire. Ils se plantaient mais au moins pour garder le pouvoir, au moins pour ça ils voulaient y arriver, ils devaient vouloir y arriver, ils pensaient sincèrement qu’il fallait faire comme ça, néo-libéralisme jusqu’au bout, pour y arriver – bien sûr ils se plantaient, d’abord c’est stupide, quiconque a étudié l’a prouvé, ensuite c’est ce terrifiant défaut d’imaginaire, enfin c’est penser que tout est à 2 temps, problème et solution. C’est vrai, je croyais jusque là que quand on voulait y arriver, arriver aux mini-résultats, discutables, scandaleux même, qu’on s’est fixés, on ne pouvait pas être totalement cyniques : voilà le raisonnement. Et le raisonnement à 13:00, de façon abrupte c’est vrai, avec ellipses c’est vrai, tombe, septembre 2014, devant un fils de 50 ans, hirsute et pour de bon sans dents.

Maintenant je peux entrer ?
Julie mange jusqu’à 14:00.
On a un rendez-vous à 13:30.

Le père, les yeux très clairs, quand je voudrais le décrire un peu plus tard je parlerais des yeux et du gilet de vélo ou de voiture sur l’autoroute, a ramassé des piliers de plastiques que quelqu’un a abandonnés sur la route et il explique combien ça coûterait, s’il devait les acheter pour s’en servir mais à quoi s’en servir, déjà ?

J’avais RV à 13h30.
Mais attends 45 parce que là, la femme de ménage a passé la serpillère, c’est pas possible de marcher dedans.
OK.
Mais tu viens pour travailler ?
Pour des ateliers d’écriture, c’est à dire…
L’écriture, me coupe le père aux yeux bleus cheveux longs et blancs, gilet jaunes et poteaux blancs inutiles dans chaque main, gigantesques, l’écriture ? On te l’a jamais dit que c’est la science des imbéciles, l’écriture ? Et il me laisse entrer.

Aujourd’hui, Trésor a été libéré. Pas du tout parce que l’avis grec, l’avis 44/2014 sur la rétention illimitée des migrants, aurait enfin été enfin invalidé par l’Europe. Mais parce que son avocate a prouvé devant la cour de Corinthe qu’en tant que demandeur d’asile il ne rentrait pas dans le cadre de cet avis. Il est resté enfermé 20 mois. 20 mois, tu sors, tu n’as plus de jambe. Tu ne peux plus manger. Il faut qu’il réapprenne à marcher, m’a dit M en parlant de Trésor.

L’automne, donc. Avec ses couleurs vives. Sa violence, son impolitesse, sa grossièreté. Et son ridicule quand revient aux affaires, bruyant, assourdissant, l’homme aux 7 affaires, on liste : Tapie, Karachi, Khadafi, écoutes, Bygmalion, sondages et Bettencourt.

C’est alors qu’inattendue mais porteuse de joie, te tombe dessus (d’abord avec ses poèmes puis avec son livre de compte rendu de la commission Vérité et réconciliation, en Afrique du Sud (Antjie Krog, La douleur des mots, Actes Sud, 2004). Antjie Krog te tombe dessus. La douleur et le pouvoir des mots. Vérité ? La Vérité ? Non, mais une vérité, petite, limitée, suffisante, celle qui permet de construire ou retrouver la prochaine, la suivante, petite et limitée de même.

Quand Desmond Tutu oblige, à la barre, tel avocat anglophone à prononcer correctement le nom des gens dont il prend l’argent mais écorche le patronyme. Jusqu’à ce que l’avocat y arrive. Est-ce bien le moment, se demande-t-on parmi les membres de la commission ? Prenez de l’air. Mettez-le derrière vos dents, allez, faites claquer le xl. Félicitation, dit Tutu. !

C’est toujours le moment pour ne pas écorcher.

Ce M. Mhongo, à la page 204, qui vient dire à la commission que l’apartheid lui a volé sa virilité. Et Krog qui mange avec les doigts. Pourquoi est-ce si agréable de manger avec les doigts et sous la pluie ? Manger, prendre de la nourriture est ensorcelant, disent les psychologues. C’est une façon d’absorber le monde, ce qui est autour de nous, à l’extérieur, devient partie de nous-mêmes. Nous mangeons le monde. Avec les doigts. «Serait-ce pour cela que tant de victimes se plaignent de la mauvaise nourriture en prison ou dans les camps de l’ANC ? Tout le monde s’attend qu’ils dénoncent les tortures terribles qu’ils ont subies mais ils se plaignent d’abord de la nourriture. Elle contenait des vers, ou trop d’eau, il n’y en avait pas assez, ou pas du tout » (Ibid, page 205)!

Trésor, cet été, disait que les portions, au camp de rétention de Corinthe, pourtant payées par des fonds européens, étaient des portions pour enfants de 3 ans. Il n’y avait pas de sel. Il n’y avait pas le petit peu de pain. Il faut réapprendre à manger. A marcher.

Et il faut réapprendre à parler.

Velantque caput. Ils volent une capote, propose Hugo, 4ème. Mais non, ils voilent leur tête, parce qu’ils font des rites sacrés et que c’est comme ça quand on fait des rites sacrés, dit Jules, on se met une petit foulard sur la tête. Décapotable, décapiter, capitale, dit Cyllian. La tête d’une voiture, la tête d’une ville et la tête d’un homme. Et quand on dit je suis kaput, c’est du patois ? Non, Romain, de l’allemand…

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